Inside La Place – L’architecte du vin

 Céline Villars-Foubet

Propriétaire

Château Chasse-Spleen

Moulis en Médoc


 

Gerda : Parlez-nous de vous…

Céline Villars-Foubet : Je suis architecte et paysagiste, mais cela fait déjà 23 ans que j’ai entamé ma carrière au sein de l’une de nos propriétés familiales. Mes débuts se sont faits à Citran, où j’ai occupé pendant un an et demi le poste de Responsable des Relations Publiques. Peu de temps après cette expérience, j’ai hérité de Chasse-Spleen, alors que mon grand-père, Jacques Merlaut, négociant et propriétaire, était encore présent. Grâce à lui, j’ai pu rencontrer les acteurs clés de la Place de Bordeaux. À la maison, le vin était toujours un sujet de conversation incontournable. Bien que j’ai toujours eu une passion pour le vin, diriger une grande propriété de 135 hectares n’était pas une décision préméditée. J’ai beaucoup appris de mon grand-père et de mes équipes, comblant ainsi mes lacunes en termes de connaissances techniques.

En ce qui concerne ma personnalité, je suis une personne optimiste et directe, imprégnée de l’esprit familial que la famille Merlaut m’a transmis. Bien que je ne sois pas particulièrement souple, j’apprécie énormément les échanges qui nourrissent les projets. Ainsi, c’est l’aspect commercial de mon quotidien qui suscite le plus d’intérêt chez moi, notamment dans l’univers unique de la Place de Bordeaux où l’idée de la réciprocité entre les parties est primordiale. Je suis pleinement consciente de la chance que représente mes privilèges.

Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement dans la pratique de votre métier ?

Céline Villars-Foubet : Les deux défis principaux sont :

  • Le défi du bouleversement climatique : on subit les aléas du climat et nous n’avons pas d’autres choix que de s’adapter par nos pratiques viticoles. C’est une adaptation lente car la plante a besoin de temps. Nous sommes conscients de l’importance d’avoir un sol vivant, c’est la meilleure protection et c’est ce qui garantit la préservation de notre patrimoine que nous devons protéger et transmettre. À cause de ce bouleversement climatique, nos rendements sont en baisse et il faut peut-être revoir notre modèle économique, car peut-être que nous ne pourrons plus produire autant dans l’avenir. La capacité de produire de bonnes quantités est importante pour un cru comme Chasse-Spleen. C’est une des raisons pour laquelle nous avons racheté récemment les 35 hectares du Château Brillette.
  • Le défi commercial : nous devons avoir une vraie réflexion sur le système des Primeurs, même si Chasse-Spleen est un cru moins fragilisé que d’autres crus. Comment pouvons-nous motiver et accompagner les négociants afin qu’ils achètent Chasse Spleen en Primeur ? J’aime beaucoup le concept de la Place de Bordeaux. Nous nous concentrons sur la production et les négociants sur la distribution, mais cette année la campagne était compliquée. C’est peut-être une bonne sonnette d’alarme pour nous. Je suis ouverte à des discussions et à des réflexions collectives pour trouver des solutions qui bénéficieront à l’ensemble de la profession, en préservant la qualité et la valeur des vins de Chasse-Spleen. Nous devons être prêts à repenser certaines pratiques, tout en trouvant un équilibre entre tradition et adaptation aux besoins du marché actuel.

 


Vendanges 2023

 

Gerda : Pourriez-vous me donner un souvenir des vendanges 2023 ?

Céline Villars-Foubet : Les vendanges 2023 ont été précoces et longues, s’étalant sur un mois grâce à une météo chaude et clémente. Du 7 au 11 septembre pour les blancs et du 14 septembre au 5 octobre pour les rouges. À la vigne, les raisins se goûtent bien, surtout les Cabernets Sauvignon, après une petite pluie salvatrice. À ce stade, les vins sont très prometteurs : concentrés, classiques, bien médocains ! Seul bémol, un rendement inférieur à 34 hl/ha, équivalent à celui de 2022, fragilisant notre modèle économique pour la 7ème année consécutive.


La marque Chasse-Spleen aujourd’hui et demain

 

Gerda : Quel positionnement souhaitez-vous pour votre marque ?

Céline Villars-Foubet : Mon souhait est que Chasse-Spleen conserve son positionnement en tant que cru abordable, accessible à un large public de consommateurs. Je veux que notre vin soit apprécié et dégusté, plutôt que d’être acheté uniquement dans un but spéculatif. Chasse-Spleen possède une belle réputation en France. Il porte un nom évocateur et prometteur, reflétant son identité forte. Comme le grand Denis Dubourdieu l’a si bien dit, le vin est un projet esthétique et gourmand.

Je pense que Chasse-Spleen est un bel exemple de ce que Bordeaux fait de mieux : produire une qualité remarquable en quantité suffisante. Dans la gamme de distribution à laquelle nous appartenons, nos vins bordelais ne sont pas suffisamment valorisés par rapport à ceux d’autres régions. Entre 15 et 30 €, nous offrons les meilleurs rapports qualité-prix au monde. Malheureusement, de nombreuses marques dans cette tranche de prix sont de plus en plus fragilisées.

: En quoi vos vins se distinguent et sont uniques ?

CVF Chasse-Spleen a une vraie personnalité. Je reconnais le vin toujours à l’aveugle. Il est à la fois structuré, profond et a une palette aromatique assez large. Il a besoin de temps pour arriver à son apogée. Dans sa jeunesse il peut apparaître austère avec une structure solide, des notes épicées et même des arômes de roses et de violette. C’est après 5 ans qu’il se réveille et montre son charme. Il a un vrai ADN qui revient tout le temps : la fraîcheur souvent mentholée, poivrée avec une structure solide aromatique des notes épicées et même dans sa jeunesse il a des arômes de roses et de violette.

Jamais le bois ne couvre le fruit car nous utilisons avec modération les barriques neuves, 40% à l’élevage.

: Laquelle de vos réalisations récentes aimeriez-vous faire partager à la clientèle ?

CVF : Le rachat dès la vendange 2022 du Château Brillette au mois de février dernier. Cette acquisition a été une véritable réussite pour nous, car elle nous a permis d’ajouter un quatrième groupe de superbes graves à notre terroir. C’est une acquisition exceptionnelle. Ce terroir a le potentiel de produire du Chasse Spleen parmi nos cuvées les plus qualitatives. Cela s’inscrit parfaitement dans notre objectif de combiner quantité et qualité : produire davantage est bénéfique pour notre modèle économique. La marque Château Brillette sera intégrée et ne sera plus utilisée en tant que telle.

: Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ? (Techniques, marketing, ou commerciaux)

CVF En ce moment, nous sommes concentrés sur plusieurs projets importants. Tout d’abord, nous réalisons un audit de nos sols. Il est essentiel de s’orienter de plus en plus vers une politique du sol vivant et une approche agroécologique globale. Nous voulons préserver la santé de nos sols et favoriser une biodiversité riche.

En ce qui concerne le marketing, nous travaillons activement sur notre identité de marque. Nous cherchons à développer une image plus claire et distinctive sur les marchés du Grand Export, tels que les États-Unis et l’Asie. Il est primordial d’adapter notre stratégie de communication pour mieux nous positionner et atteindre nos consommateurs cible.

Par ailleurs, nous avons récemment recruté un commercial en collaboration avec les Domaines Henri Martin (Château Saint-Pierre et Château Gloria). Son nom est Jules Coulaud et il est basé à Bordeaux. Fort de son expérience, notamment ses 8 années passées à New York, il possède une excellente connaissance du marché américain. Son objectif principal sera de se rendre aux États-Unis au moins 8 fois par an pour travailler sur le terrain, rencontrer nos distributeurs, animer des master class, et renforcer notre présence commerciale.

Nous sommes donc pleinement engagés dans ces différents projets qui contribueront à renforcer notre approche technique, notre positionnement marketing et notre développement commercial.

: Où en est(sont) votre(s) propriété(s) en matière de « transition écologique » ?

CVF La transition écologique est une préoccupation majeure pour nous et nous travaillons activement dans ce domaine. La particularité de Chasse Spleen réside dans la diversité de nos sols, ce qui nécessite des pratiques viticoles adaptées à chaque terroir. C’est pourquoi nous réalisons actuellement un audit de nos sols, afin de mieux comprendre leurs spécificités et d’ajuster nos pratiques en conséquence. Notre objectif n’est pas seulement d’obtenir une certification, mais de mettre en place des mesures concrètes pour préserver la santé de nos sols et favoriser une viticulture durable.

En ce qui concerne la plantation d’arbres fruitiers dans les vignes, nous sommes encore en réflexion. Nous considérons attentivement cette option, mais nous préférons prendre le temps nécessaire pour étudier les implications et les bénéfices potentiels avant de nous engager dans cette démarche.

Nous avons la chance inestimable que Moulis soit la plus petite appellation du Médoc, avec seulement 630 hectares de vignes répartis sur une superficie totale de 20 km2. Cela signifie que nous bénéficions d’un environnement privilégié, avec des corridors écologiques, des prairies, des haies et des forêts. La biodiversité est très présente sur notre territoire et nous en sommes extrêmement reconnaissants. Nous nous efforçons de préserver cette richesse naturelle et de contribuer à son développement en adoptant des pratiques respectueuses de l’environnement.

La transition écologique est un processus continu, et nous sommes engagés à poursuivre nos efforts pour minimiser notre impact environnemental et favoriser la durabilité de notre activité viticole.


Le commerce

 

: Quelles sont vos priorités en termes de développement commercial ?

CVF : Notre priorité actuelle en matière de développement commercial est de renforcer notre présence aux États-Unis et en Asie grâce à l’arrivée de Jules dans notre équipe. Les États-Unis sont un marché très attractif et dynamique, tandis que l’Asie présente également de nombreuses opportunités intéressantes. J’ai une affection particulière pour le continent asiatique en raison de son dynamisme exceptionnel.

Cependant, il est essentiel de ne pas se focaliser uniquement sur ces deux continents. L’Europe reste un marché important pour nous, ainsi que la France. En fait, la distribution en France représente 50% de nos ventes, ce qui me convient parfaitement, car il est essentiel d’être fort chez soi, satisfaire notre clientèle et être visible dans le premier pays touristique au monde.

Nous travaillons également à consolider nos relations avec nos partenaires commerciaux existants et à explorer de nouvelles opportunités dans d’autres régions du monde. Notre objectif est d’élargir notre présence géographique tout en maintenant la qualité de nos relations commerciales et en répondant aux besoins de nos clients, où qu’ils se trouvent.

: Quels supports d’aide à la vente sont à disposition des distributeurs pour promouvoir vos vins ?

CVF : Nous attachons une grande importance à recevoir nos distributeurs sur notre propriété. C’est un moment privilégié pour passer du temps ensemble, mieux nous connaître, rencontrer nos équipes et comprendre notre histoire. Cette immersion dans notre domaine renforce notre relation et permet aux distributeurs de mieux promouvoir nos vins.

Nous mettons également des échantillons à disposition pour des événements ciblés, permettant aux distributeurs de faire découvrir nos vins à leur clientèle. Je suis ouverte à la création d’offres spéciales et ciblées en collaboration avec nos partenaires commerciaux. J’apprécie particulièrement les rencontres avec les équipes commerciales, car cela nous permet de construire ensemble une stratégie de marché solide.

En somme, nous mettons à disposition divers outils et opportunités pour soutenir nos distributeurs dans la promotion de nos vins, en veillant à ce que notre collaboration soit mutuellement bénéfique et fructueuse.

: A quels millésimes le marché devrait s’intéresser ? et pourquoi ?

CVF : Il y a plusieurs millésimes sur lesquels le marché devrait porter son attention. En dehors des millésimes récents, le millésime 2016 est un choix intéressant. C’est le dernier grand millésime productif qui est maintenant prêt à être dégusté. Il offre une belle expression et une qualité remarquable.

Le millésime 2017 est également à prendre en considération, surtout pour les établissements de restauration. Il présente un caractère frais, classique et il est accessible en termes de prix. C’est un millésime polyvalent qui se marie parfaitement avec les mets et offre une belle expérience gustative. Et enfin, je ne peux pas passer sous silence le millésime 2022. C’est le plus grand millésime que nous avons connu depuis mes 23 ans à la tête de la propriété. Je suis sincère lorsque je dis que nous avons déjà dit cela pour les millésimes 2005 et 2010, mais le millésime 2022 est véritablement exceptionnel. Malheureusement, la quantité produite est limitée, mais il sera accessible plus tôt que les autres grands millésimes. Nous avons déjà hâte de le déguster !

: Prévoyez-vous des sorties commerciales ou mises en marché dans un futur proche ?

CVF : Pour le moment, nous n’avons pas de sorties commerciales ou de mises en marché planifiées dans un futur proche. Cependant, je suis toujours prête à collaborer avec des partenaires motivés en amont, en leur proposant des offres ciblées et adaptées à leurs besoins. Je crois fermement qu’il est essentiel de maintenir une relation équilibrée avec nos distributeurs et de ne jamais les submerger avec une offre excessive. Nous travaillons en harmonie pour garantir une distribution efficace et une mise en valeur optimale de nos vins sur le marché.

: Avez-vous des stocks que nos clients pourraient travailler ?

CVF : En ce qui concerne nos stocks, nous disposons encore de certaines quantités des millésimes 2015 et 2016. Cependant, entre les millésimes 2016 et 2022, nos stocks sont limités en raison des petites récoltes que nous avons eues.


La bouteille de cœur de Céline Villars-Foubet

 

Gerda : Si vous aviez une seule bouteille de cœur ?

CVF : Mon choix se porterait sur le millésime 2010. À l’époque, il était considéré comme le plus grand millésime jamais produit à Chasse Spleen. Aujourd’hui, il a atteint sa pleine maturité et offre une expérience de dégustation exceptionnelle. Sa complexité, son équilibre et sa longévité en font un vin remarquable.

De plus, je ne peux m’empêcher de mentionner le millésime 2022. Notre consultant, Eric Boissenot, m’a dit que ce millésime est comparable à 2010 et 2016, mais avec un niveau de qualité encore supérieur. C’est un immense compliment de la part d’une personne ayant une connaissance approfondie des vins du Médoc. Le millésime 2022 se distingue vraiment et promet d’être extraordinaire.

Dans l’idéal, j’aimerai gouter une bouteille de chaque grand millésime à boire : 2005, 2009, 2010, et le plus jeune 2015 afin d’apprécier leur évolution régulièrement et de choisir en fonction du moment. Pour le 2022 il faudra être patient au moins 5 ans…

 

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.