Inside La Place – Julian Poh, Bordeaux Liquid Gold

Julian Poh

CEO Bordeaux Liquid Gold


Vous et votre entreprise

 

Gerda : Pourriez-vous présenter votre parcours personnel et pourquoi le vin ?

Julian Poh : Bonne question! J’ai travaillé dans un hôtel à Bali en 1998. En 2000, je suis revenu à Singapour car un ami m’a offert un emploi dans son entreprise de vin. J’ai tout de suite été intéressé par ce beau produit et j’ai décidé en 2010 de créer ma propre entreprise à Singapour et à Hong Kong. Depuis le début, nous nous sommes concentrés sur les vins de Bordeaux haut de gamme uniquement. Sept ans plus tard, j’ai pris la décision de démarrer également une entreprise de vin en Malaisie.

Gerda : Parlez-nous aussi de votre entreprise afin que nos lecteurs comprennent vos réponses aux questions qui suivront, pouvez-vous nous précisez votre type de clientèle ?

Julian Poh : À Hong Kong et à Singapour, notre principal objectif est de servir des clients privés à 99 %. Nous vendons sur le marché local, ainsi qu’en Chine, au Cambodge, au Vietnam, en Suisse et au Royaume-Uni. En Malaisie, notre principal domaine d’activité est axé sur les restaurants et les hôtels haut de gamme. Nous adoptons une approche très sélective, en ciblant des établissements où les clients disposent d’un pouvoir d’achat important. Nos clients n’exposent pas simplement les vins, ils les ouvrent et les consomment réellement. Nous travaillons avec des lieux prestigieux tels que des restaurants étoilés au guide Michelin, l’hôtel The St Regis à Kuala Lumpur, le complexe One & Only Resort à Desaru Coast et l’hôtel Four Seasons, pour n’en citer que quelques-uns. Il est essentiel pour nous que nos bouteilles soient ouvertes et appréciées. C’est l’objectif ultime pour chaque bouteille.


Les développements du marché

 

Gerda : Quels challenges principaux rencontrez-vous sur votre marché : la logistique, la concurrence, les réglementations, la consommation, autre ?

Julian Poh À Singapour et à Hong Kong, nous ne rencontrons aucun défi logistique, mais sur le plan de la distribution, c’est un marché très concurrentiel. Les grands acteurs sont présents depuis plus de 20 ou 30 ans et de nombreuses entreprises se sont spécialisées dans les comptes de vente au détail, ce qui complique la quête d’une approche pour collaborer avec les restaurants ou les hôtels. C’est pourquoi, dès le début de Bordeaux Liquid Gold, nous avons décidé de nous concentrer sur les clients privés.

La situation est différente en Malaisie, qui est un pays à majorité musulmane où la logistique présente plus de défis. Le dédouanement prend entre 3 et 4 semaines et tout vin avec un degré d’alcool supérieur à 15 % est interdit. Tout cela nous oblige à être plus sélectifs dans la sélection de marques que nous importons.

Gerda : Comment la demande des grands vins de Bordeaux a-t-elle évolué ces dernières années sur votre marché et quelle est sa part dans votre activité ?

Julian Poh : De 2010 à 2018, nous avons travaillé exclusivement avec des vins de Bordeaux, ce qui explique le nom de l’entreprise : Bordeaux Liquid Gold. Depuis 2018, nous importons quelques vins américains tels que Screaming Eagle, Hundred Acre, Dominus Estate, Opus One et Harlan Estate. Ils représentent 1% de notre chiffre d’affaires. La demande pour les vins de Bordeaux à Singapour et à Hong Kong est toujours en hausse.

Pour la Malaisie, c’est une autre histoire. Avant 2017, il y avait un nombre important de consommateurs de vins de Bordeaux, mais ils devaient se procurer leurs vins par l’intermédiaire de négociants basés à Singapour ou au Royaume-Uni. Il existait en effet peu de marchands de vin locaux qui importaient des vins de Bordeaux haut de gamme et les choix étaient limités. La plupart d’entre eux étaient spécialisés dans le marché de masse inférieur. C’est à ce moment-là que nous avons pénétré le marché malaisien où personne ne nous connaissait. Heureusement, j’ai reçu un excellent soutien de mes amis à Bordeaux comme le Château Pontet Canet, le Château Palmer, le Château Haut-Brion, le Château Mouton Rothschild, le Château Pavie et le Château Angelus. Nous avons organisé avec eux des événements de dégustation professionnelle et des dîners autour du vin. Grâce à cela, nous avons immédiatement bénéficié d’une grande visibilité. Pour le Château Lafite Rothschild, le Château Mouton Rothschild et Screaming Eagle, c’était même leur premier événement en Malaisie. Grâce à ces événements, les amateurs de vin ont commencé entendre à parler de nous, à mieux nous connaître et à nous contacter. L’activité a commencé à aller dans la bonne direction et des châteaux et des marchands de vin de Bordeaux sont venus nous rendre visite. Pendant cette période, la Jurade de Saint-Émilion a également ouvert ses chancelleries en Malaisie et a maintenant un chapitre à Kuala Lumpur.

 


La clientèle

 

Gerda : Quels sont les critères d’achat principaux de vos clients lorsqu’ils achètent des grands vins ?

Julian Poh C’est très différent entre Singapour/Hong Kong et la Malaisie. Nos clients à Singapour/Hong Kong achètent en primeur. Ils stockent les vins à Bordeaux City Bond. Sur demande, nous pouvons expédier les vins à Singapour ou à Hong Kong. En ce qui concerne la Malaisie, nos clients dans le secteur de la restauration recherchent des millésimes prêts à boire. Ils ne sont pas vraiment impliqués dans la campagne en primeur.

Gerda : Quels influenceurs ou journalistes comptent le plus pour vos clients ?

Julian Poh : Quand Parker était encore présent, c’était facile, tout le monde le suivait. Lorsqu’il a pris sa retraite, James Suckling est entré en scène. The Wine Advocate avec William Kelley suscite un nouvel intérêt.

Gerda : Le système des notes est-il toujours primordial lorsque les clients achètent du vin ?

Julian Poh : À Singapour et à Hong Kong, oui, mais pas vraiment pour la Malaisie.  Pour ce dernier, nous essayons d’éduquer nos clients sur ce qu’ils devraient acheter. De nombreux vins évoluent mieux que ce que les notes initiales laissent présager. Je dis souvent que les notes ne sont pas tout, elles ne sont qu’une ligne directrice. Vous devez développer et connaître votre goût personnel, votre palais. C’est pourquoi nous organisons de nombreuses dégustations et dîners.


Bordeaux et vous

 

Gerda: Quand on dit « Bordeaux », à quoi vos clients pensent-ils ?

Julian Poh : Les meilleurs vins du monde. Une fois par an, nous organisons un voyage à Bordeaux avec nos clients. Ils bénéficient d’un traitement VIP et d’un accès aux meilleurs domaines viticoles. Ils peuvent poser des questions aux vignerons, écouter et observer le processus, de la vigne à la bouteille. Cette expérience est inoubliable et essentielle pour la perception des grands vins de Bordeaux.

Gerda : Nos propriétés travaillent énormément sur les conséquences du changement climatique et sur la transition vers une agriculture plus respectueuse. Quelles sont les attentes réelles de vos clients à cet égard ?

Julian Poh : Être biologique ou biodynamique n’est pas vraiment important. C’est un aspect que nos clients ne prennent pas en compte. Nous ne recevons jamais de demande spécifique concernant ces critères.

Gerda : Pour vous, sans tabou, quelles sont les forces et les faiblesses de Bordeaux aujourd’hui?

Julian Poh : Chez BLG, nous restons fidèles à la tradition, et je pense que la faiblesse de Bordeaux réside dans le fait que de plus en plus de vins non bordelais sont commercialisés à travers le système bordelais. Bordeaux est en train de perdre son « caractère bordelais ». Je reçois même des offres de whiskies de la part de marchands de vins bordelais. Bordeaux doit se concentrer sur Bordeaux et ne pas s’éparpiller. Le marché d’aujourd’hui n’est pas comme il était auparavant.

Gerda : Les classements de Bordeaux sont-ils toujours des critères d’achat essentiels ?

Julian Poh : Non, nous achetons une gamme de vins tant qu’il y a une demande, que nous essayons également de créer. Je connais Stéphanie de Boüard depuis 2012 et même aujourd’hui nous achetons Château Angelus et continuerons à le faire à l’avenir. Il en va de même pour Pavie, quand ce n’était pas encore un Premier Grand Cru Classé A. Henrique Da Costa est un bon ami et nous avons toujours acheté son vin. Le plus important est la qualité du vin dans la bouteille et les personnes qui font la marque. Il en va de même pour le classement dans la classification de 1855. Il est de notre responsabilité d’éduquer les clients et le classement est moins important.

Gerda : Ces dix dernières années, certaines marques ont progressé plus vite que d’autres. Pensez-vous qu’il existe encore des évolutions possibles dans la hiérarchie des Bordeaux ?

Julian Poh : Oui, il y aura des évolutions à Bordeaux, d’autant plus maintenant que la jeune génération arrive. Ils ont de nouvelles idées, ils veulent changer pour rivaliser avec le marché croissant des vins de qualité en dehors de Bordeaux. C’est une génération qui voyage davantage, qui entend et voit davantage grâce aux médias sociaux, et qui est plus ouverte aux changements. Regardez ce qui se passe au Château Lynch Bages, au Château Ausone, au Château Pontet Canet, et chez mon amie Stéphanie de Boüard-Rivoal, ils font tous un travail incroyable.

Gerda : Pourquoi une étiquette est-elle incontournable dans votre portefeuille ?

Julian Poh : Difficile de répondre… Pour résumer : tout dépend de la qualité de la bouteille.

Gerda : Que devrait faire Bordeaux, châteaux ou négociants, qui pourrait contribuer à améliorer et développer votre marché et votre activité ?

Julian Poh : Chacun a son rôle à jouer, que ce soit le propriétaire du château, le marchand de vins et nous. Les châteaux doivent produire le meilleur vin possible à chaque millésime et apporter leur soutien au marchand de vins bordelais et à nous pour l’organisation de dîners, de visites, de dégustations, etc. C’est un triangle de partenariat.

Mais encore une fois, Bordeaux a beaucoup changé ces dernières années. J’ai le sentiment que certains marchands de vins changent de cap et sont de plus en plus orientés vers la vente, au détriment du service. Ils ne vous appellent que lorsqu’ils veulent vous vendre quelque chose. À mes yeux, un marchand de vins devrait également vous tenir informé de ce qui se passe à Bordeaux, comme la prochaine campagne en primeur. Partager des informations, vous donner des conseils et même vous fournir des informations sur la situation économique locale. Je suis convaincu que chacun doit jouer son rôle, travailler ensemble. Pour cela, il faut avoir confiance, se sentir à l’aise, construire un partenariat qui va au-delà d’une simple relation commerciale. J’ai ce partenariat avec Roland qui m’appelle de temps en temps. Il est direct et me conseille avec son opinion sincère. Lui et son équipe sont orientés vers le service. C’est ce que j’attends de mon partenaire à Bordeaux.

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.