Inside La Place – Envie de transmettre

Stéphan von Neipperg

Ludovic von Neipperg

Château d’Aiguilhe

Castillon


 

Gerda : Parlez-nous de vous…

Ludovic von Neipperg Il est difficile de parler de moi sans évoquer ma famille et le lieu où j’ai grandi, le Château Canon La Gaffelière, au cœur des vignobles. Mes grands-parents m’ont déjà emmené me promener dans les vignes de la Mondotte quand j’étais enfant. Ainsi, toute mon enfance a été imprégnée par ces magnifiques lieux, mais cela ne signifiait pas nécessairement que je devais reprendre l’activité viticole, car ce n’était pas une obligation de ma famille. Mais une opportunité s’est présentée pour travailler avec mon père, et j’ai immédiatement accepté avec l’accord de toute ma famille.

Au début de ma carrière professionnelle, j’étais passionné par la science et j’ai étudié l’économie et les statistiques en Suisse. Après quelques années d’expérience dans le monde de l’économie, j’ai souhaité lier mon destin à la terre, et c’est ainsi qu’en 2017, j’ai changé de voie professionnelle. Deux ans après cette décision, je suis arrivé sur nos propriétés, après avoir suivi des études d’agronomie et effectué des stages dans d’autres châteaux. Je suis ravi et je n’ai aucun regret, car c’était un choix que je n’étais pas obligé de faire.

Aujourd’hui, je suis officiellement le directeur technique, mais comme c’est souvent le cas dans les structures familiales, je m’occupe de nombreuses autres tâches. Mon père et moi prenons ensemble toutes les décisions importantes. C’est important, car ces décisions ont souvent un impact à long terme, et il est essentiel d’assurer la pérennité de nos propriétés pour la prochaine génération de ma famille.

Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?

Ludovic von Neipperg Il y a trois défis majeurs auxquels je suis confronté.

  • Tout d’abord, il y a le défi humain. Il s’agit de m’intégrer dans un poste que je dois apprendre à maîtriser. J’ai beaucoup à apprendre de mon père, mais également de notre équipe, qui est extraordinaire tant sur le plan humain que technique. Nous croyons beaucoup à l’aspect humain et accordons une grande importance à la création d’un environnement serein dans lequel nos collaborateurs osent dialoguer et où chacun peut donner son avis. Je suis persuadé que cela se reflète dans la qualité de nos vins.
  • Ensuite, il y a le défi agronomique moderne, qui est principalement lié à la gestion du carbone, car le problème n’est pas seulement le CO2 dans l’air, mais également dans le sol. Il est essentiel de produire des vins de qualité pendant très longtemps, mais avec une dépendance moindre aux produits de synthèse. Je suis très attaché à ce sujet et je me considère davantage comme un agriculteur, travaillant la terre, qu’un chef de cave.
  • Enfin, il y a le défi auprès du consommateur. Nous voulons véhiculer la bienveillance avec un produit plus sain, en proposant des vins respectueux de l’environnement et de la santé.

Stephan von Neipperg : Pour ma part, je pense qu’il est impensable de transmettre à mes enfants des propriétés qui n’ont pas d’avenir. Si nous traitons nos sols avec de l’engrais, nous renforçons un égoïsme de survie. Le défi est de produire un grand vin sur un sol vivant. Pour moi, une viticulture respectueuse est beaucoup plus importante qu’un beau chai. Je pense toujours aux grands vins que nous avons produits à Canon La Gaffelière dans les années 50, ou pour fermer les cuves, nous utilisions du plâtre.


Vendanges 2022

 

Gerda : Avez-vous un souvenir des dernières vendanges ?

Ludovic von Neipperg : La météo nous a permis de vendanger à notre rythme, sans être pressés par des raisins qui décrochent. Chez nous, on appelle cela les vendanges « aigle », ou « hélicoptère ». Il faut nous imaginer, planant tranquillement au-dessus des vignes, scrutant la moindre évolution, pour fondre sur telle ou telle parcelle et la récolter au moment optimal. Paradoxalement, la décision a été plus dure à prendre, car sans pression climatique, le choix est moins évident. Cela a donné lieux à quelques débats passionnés entre mon père et moi. Le sage voulait faire preuve de patience alors que j’aurais préféré y aller tout de suite… Ces vins sont, entre autres, issus d’un compromis intergénérationnel, qui illustre la beauté du travail en famille, avec son lot de discussion et de remise en question.

 


Vos marques aujourd’hui et demain

 

Gerda : Quel(s) positionnement(s) souhaitez-vous pour votre/vos marque(s) ? 

Ludovic von Neipperg : Nous avons du mal avec le concept de marque. Nous nous voyons davantage comme une famille bourguignonne, une famille qui produit des vins différents, sur des terroirs différents et à des prix différents. Nous ne voulons pas nous exiler vers des îlots aux prix exorbitants. Notre objectif est de vendre à des collectionneurs qui sont aussi des consommateurs qui ouvrent les bouteilles. Nous souhaitons créer un véritable lien avec eux. Nous sommes fiers d’être une famille capable de produire un Premier Grand Cru Classé, comme Canon La Gaffelière, à un prix abordable sur le marché.

Stephan von Neipperg : Nous avons vendu 90% de notre production de 2019 et 2020 en primeur. Nous ne sommes pas une banque, ni une compagnie d’assurance. Nous sommes une famille qui doit vivre de la trésorerie générée par les Châteaux. Derrière le blason, il y a une véritable famille qui a créé des marques comme La Mondotte, Clos de l’Oratoire et Clos Marsalette, basées sur la notion de terroir. Canon La Gaffelière était l’une des premières propriétés à adopter l’agriculture biologique à Saint-Émilion, et nous avons fait ce choix par conviction, pas seulement pour la mention sur l’étiquette ou pour l’image pittoresque de l’homme en chapeau de paille dans les vignes (rires). Cela montre que ma famille a fait les bons choix depuis longtemps, étant la 37e génération de viticulteurs.

: En quoi vos vins se distinguent, et sont uniques ?

Ludovic von Neipperg : Nos vins sont des vins de terroir, ce qui n’est pas unique en soi, mais ils se distinguent par le fait qu’ils ne sont pas comparables aux vins de nos voisins. Chaque terroir a son propre impact sur le vin, ce qui rend nos vins uniques. Nous avons une vision minimaliste de la viticulture, comparée à beaucoup de nos voisins, ce qui a un impact sur l’expression du terroir dans le vin. Nos vins ont pour seul objectif d’être gardés longtemps ou pas, et d’être agréables pour ceux qui les dégustent. Toujours dans l’idée de trouver des solutions locales, nous avons beaucoup réfléchi à la façon d’avoir un impact positif et sensé sur notre environnement. Nous produisons notre propre engrais car nous voulons que nos conditions de production soient les plus locales possibles. Nous ne cherchons pas seulement à simplifier le travail, mais aussi à créer des plantes en bonne santé pour produire un meilleur vin. Je crois beaucoup en l’agriculture positive et en la symbiose entre une production saine et la santé.

Stephan von Neipperg : Oui, la qualité et le prix rendent nos vins accessibles à de nombreux consommateurs. Socialement, nous sommes privilégiés d’habiter sur place, mais j’ai une responsabilité sociale et historique envers la pérennité de nos propriétés.

: Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ? (Techniques, marketing, ou commerciaux)

Ludovic von Neipperg : Ici à d’Aiguilhe, nous souhaitons créer un lieu qui respire la vie. Il faut avoir été à d’Aiguilhe pour comprendre cela. On ressent une force, une vibration et une énergie positive. Nous voulons transmettre aux gens le message que le vin est créé avec amour, en prenant soin de la vigne. Le Château d’Aiguilhe, avec ses 140 hectares dont 90 plantés, est entouré de forêts, de cours d’eau, de haies et d’arbres centenaires. C’est un endroit magnifique qu’il faut préserver et partager. Nous pouvons accueillir jusqu’à 220 personnes et travaillons avec des agences de voyage pour faire vivre ce lieu.

: Où en êtes-vous en matière de « transition écologique » sur vos propriétés ?

Ludovic von Neipperg : Nous ne croyons pas beaucoup dans les technologies de pointe, mais plutôt dans les technologies simples et durables. Il faut limiter les intrants chimiques et se concentrer sur le potentiel de fertilité du sol de manière naturelle. Agir au bon moment pour agir moins, en exploitant les énergies naturelles. Un gros problème aujourd’hui est le cahier des charges pour obtenir la certification bio. Nous sommes certifiés bio sur toutes nos propriétés à Saint-Émilion (Canon La Gaffelière, La Mondotte et Clos de l’Oratoire) et accordons une grande importance à la phytothérapie. Nous ne sommes pas certifiés bio à d’Aiguilhe, car les contraintes imposées par la certification bio sont un obstacle pour le choix optimal ici. Sans liberté, on ne peut pas optimiser. Il est certain qu’une agriculture bio est plus respectueuse de l’environnement que l’agriculture conventionnelle. Mais le bio est aujourd’hui très critiqué, car il se concentre uniquement sur les produits phytosanitaires, et le bio nécessite plus de passages dans les vignes, ce qui peut entraîner un tassement du sol, etc. Les choix sont difficiles à faire… On ne peut pas empêcher les grandes sécheresses, mais il faut empêcher les impacts négatifs sur l’environnement.

Stephan von Neipperg : Un sol vivant peut très bien absorber les doses de cuivre autorisées dans l’agriculture bio. Nous étions les seuls à avoir obtenu la certification bio pour un 1er Grand Cru Classé depuis mai 2011. Le bio n’est pas un simple outil de communication pour nous, et je suis convaincu que tout le monde finira par passer au bio, car les produits chimiques sont de moins en moins efficaces et seront interdits un jour. Aujourd’hui, les gens disent « nous faisons des essais bio » dans les pires endroits, mais cela ne fonctionnera jamais. Il faut le faire sur nos plus beaux terroirs, là où nous pouvons observer les changements. De plus, le passage du chimique au bio ne se fait pas du jour au lendemain. Cela prendra au moins 10 à 15 ans pour ramener un sol mort à la vie.

 


Le commerce

 

Gerda : Quelles sont vos priorités en termes de développement commercial ? 

Ludovic von Neipperg : Nous aimerions que notre vin d’Aiguilhe puisse être diffusé plus largement dans le monde. Actuellement, il est sous-estimé en raison de son appellation. Si l’on trouve que les vins de Bordeaux sont trop chers, il faut regarder à côté où l’on peut trouver des petites pépites comme ici en Côtes de Castillon. Nous n’avons pas de problème de distribution et nous arrivons à vendre ce que nous produisons sur nos autres propriétés. Là où nous sommes le moins bien compris, c’est pour d’Aiguilhe. Nous devons parfois forcer les gens pour leur montrer que le vin est extraordinaire.

  • Oratoire : Ces dernières années, ce vin a connu une augmentation de la qualité, grâce aux nouvelles sélections massales. En parallèle, nos pratiques culturales Bio et respectueuses de la vie du sol nous permettent de produire plus qu’auparavant. Nous voulons élargir la diffusion de ce vin qui, parmi les grands crus classés, représente un très bon rapport qualité-prix. Nous voulons que ce cru devienne plus distributif, c’est pourquoi nous avons mis en marché 80% de la production.
  • La Mondotte : La Mondotte est très connue des grands collectionneurs, mais relativement peu des amateurs avertis. Nous avons conscience que cette marque manque de visibilité. Pourtant, c’est une petite propriété charmante, habitée par la famille, avec un terroir fabuleux, un petit côté « chai de poupée » et une âme authentique. Ce sont des valeurs qui devraient parler aux nouveaux consommateurs de grands vins de Bordeaux. Une fois encore, les pratiques viticoles vertueuses et l’augmentation des volumes qui s’en suit, devraient permettre une plus large diffusion et rendre la marque plus visible. Pour ce cru, nous mettons en marché 85% des volumes.
  • Canon la Gaffelière : C’est certainement notre marque la plus forte. Là encore, le positionnement qualité-prix, surtout pour un premier cru de St Emilion, est très correct. C’est un des très grands vins de Bordeaux en dessous de 100€ avec une grande régularité de la qualité, même dans les années plus compliquées. C’est un vin qui privilégie la finesse et l’élégance, à la force brute. Cela est notamment dû à la grande proportion de Cabernet Franc, autour de 40%, et de Cabernet Sauvignon, entre 15 et 20% à terme. Même si de plus en plus de consommateurs reconnaissent le très grand potentiel des Cabernets de rive droite, nous sentons qu’il y a encore un peu de marge de manœuvre. Pour toucher le plus de monde possible, nous avons mis en marché 85% de la production.

Stephan von Neipperg : J’ai l’impression que les vins de Côtes de Castillon ne sont toujours pas appréciés en France, ce qui est dommage car ils sont fabuleux. Ces vins de Castillon ont un terroir et un caractère extraordinaire qui devraient leur permettre d’avoir leur place parmi les grands terroirs de Gironde. Castillon a son propre caractère, mais pour le moment, nous sommes dans les Côtes de Bordeaux. C’est pour cela que nous avons créé une association de vignerons authentiques passionnés pour donner un élan à nos vins. Cette association s’appelle Le Club Castillon Caractères. Nous organisons une dégustation le 26 juin pour le faire connaître à nos partenaires de la Place de Bordeaux et Roland Coiffe sera parmi nous.

G : Quels supports d’aide à la vente sont à disposition des distributeurs pour promouvoir vos vins ?

Ludovic von Neipperg : haha, Mon père et moi sommes des supports « mobiles » et il y a aussi Magali Malet qui fait un travail superbe pour nous depuis des nombreuses années. Nous avons un site internet et lors des visites de nos propriétés, nous donnons aux consommateurs des clés de compréhension de nos grands vins.

G : A quels millésimes le marché devrait s’intéresser ? et pourquoi ?

Stephan von Neipperg Il y en a plein ! Le seul millésime sur lequel il y a discussion sur la qualité est 2013, mais si on le déguste à nouveau, on ne peut vraiment pas dire que c’est mauvais. J’aime beaucoup les millésimes 2004, 2007, 2011 et 2012 qui sont excellents maintenant ! Nous sommes très performants sur les petits millésimes.

Il y a trois erreurs à éviter à Bordeaux :

  • la sur-maturité
  • la sur-extraction (qui casse la longévité)
  • le sur-boisement (pourquoi faire ?)

Ce sont des erreurs qu’il faut éviter pour faire tous les ans un bon millésime !

G : Prévoyez-vous des sorties commerciales ou mises en marché dans un futur proche ?

Stephan von Neipperg : Nous commençons à avoir de plus en plus de vins livrables. Nous produisons plus, donc nous arrivons plus facilement à mettre de côté des vins livrables. Nous vendions jusqu’à 95 % en primeurs, mais nous nous rendons compte que c’est mieux et plus intéressant de garder un peu de stock sur certaines années pour faire revivre le vin dans l’esprit des consommateurs. Nous voudrions faire des mises en marché décalées comme en 2016 ou 2015 avec des prix intéressants pour faire vivre la marque Canon La Gaffelière. Malheureusement, nous ne pouvons pas encore le faire, mais cela va changer dans l’avenir. Pour La Mondotte, nous commençons à avoir du stock à partir du millésime 2015. Nous ne nous adressons pas à tout le monde pour l’offrir mais uniquement à nos partenaires particuliers.

G : Avez-vous des stocks que nos clients pourraient travailler ?

Stephan von Neipperg : Nous avons la possibilité de faire des offres sur Canon La Gaffelière 2016 et 2019, et nous avons encore du stock sur certains millésimes (à partir de 2015) d’Aiguilhe et La Mondotte. 

 


Bouteille de coeur

 

Gerda : Si vous aviez une seule bouteille de cœur ? 

Ludovic von Neipperg : Pour moi, ce serait d’Aiguilhe 2016. C’est un grand millésime à Bordeaux et spécialement à d’Aiguilhe. C’est aussi l’année où j’ai pris la décision de succéder à mon père, donc ce vin a une signification particulière pour moi.

Stephan von Neipperg : Pour ma part, j’ai une préférence pour les très vieux millésimes de Canon la Gaffelière qui sont encore magnifiques aujourd’hui. Je pense notamment au 1947, dont il ne nous reste que deux bouteilles, ainsi qu’aux millésimes 1953 et 1964. Mais aussi les grands millésimes comme 1988 et 1998.

 


 

Gerda : J’ai eu l’occasion d’avoir ce magnifique entretien avec le fils et le père autour d’un verre d’Aiguilhe 2016, un vin de l’appellation Côtes de Castillon. Cette appellation est réputée pour produire des vins attractifs et dans l’air du temps, sans avoir besoin de dépenser une fortune. Les vins de cette région allient modernité et caractère, avec une personnalité bien marquée. Les merlots, cultivés sur des sols argilo-calcaires et argilo-limoneux du plateau, sont généreux mais aussi bien structurés, grâce à la présence du cabernet franc qui apporte finesse et élégance. Que demander de plus ?

 

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.