Inside La Place – Un Grand Vin est une somme de petits détails

Lucie Lauilhé 

Directrice

Rencontrée par Gerda au Château

Château d’Armailhac

Pauillac, Grand Cru Classé en 1855


Le 30 septembre 2021, nous avons publié une interview avec la passionnante et dynamique Caroline Artaud (Château Clerc Milon)Cette fois, je suis allée au Château d’Armailhac afin de rencontrer Lucie Lauilhé qui est la directrice de cette belle propriété depuis août 2021. Cela fait vraiment plaisir qu’il y ait davantage de femmes travaillant dans notre filière. À mon début de carrière, il y a presque 30 ans, très peu de femmes étaient présentes. La parité n’est pas encore atteinte aujourd’hui et, cela ne doit pas être un but en soi, mais je suis toujours reconnaissante des femmes des années 60 qui ont œuvré pour ce chemin d’égalité.

Avant l’interview, nous avons visité les nouvelles installations techniques de Château d’Armailhac dont le millésime 2021 a été le premier vinifié dans ce magnifique chai que j’aime décrire comme « le sobre chic » ou « la modernité technique ». Il permet le respect du lieu, l’écoresponsabilité et le bien-être du personnel.

Gerda : Parlez-nous de vous…

Lucie Lauilhé J’ai un parcours classique à la fois d’ingénieur agronome et d’œnologue, en ayant une vraie passion pour l’agronomie, les interactions sol/vigne. Ce qui explique mon début de carrière au sein du cabinet de conseil Sovivins. Après 6 années de conseil agroviticole, j’ai eu envie de participer à un projet plus global en partant d’un Terroir jusqu’à l’élaboration du produit final, le vin. En 2017, j’ai donc décidé de travailler pour un Château et fin 2021 je suis arrivée à Château d’Armailhac au même moment que la mise en service de ce magnifique nouveau chai.

Je suis une perfectionniste et faire un grand vin est une somme de petits détails. C’est fascinant ! En acceptant ce beau projet à d’Armailhac, je me dis tout le temps : « on ne doit jamais se satisfaire, et toujours chercher à faire mieux ». L’aspect technique de la production me passionne particulièrement, tant sur le volet viticole, que sur le travail au chai. Nous faisons ce travail pour la génération suivante en respectant l’histoire de la famille Rothschild. Cette approche n’est pas simplement spécifique au niveau technique, nous l’avons aussi mise en place au niveau du management. On est comme un capitaine sur un navire avec 30 personnes, piloté en équipe avec Olivier Gayrard notre chef de culture et Cédric Marc notre maître de chai. Il faut faire avancer les projets en veillant à ce que les équipes y adhèrent et en partageant nos ambitions avec nos clients notamment.

Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?

Lucie Lauilhé Il y en a plusieurs. Je dois encore prendre mes marques, cela ne fait que deux ans que j’œuvre pour cette magnifique propriété qui a une longue histoire : ce n’est pas facile mais passionnant. Château d’Armailhac appartient à la famille Rothschild depuis 1933, je dois m’imprégner de l’ADN de cette propriété car le vin raconte un lieu et une interprétation de ce lieu : mon principal défi est de mettre en évidence tout cela dans le vin.

De plus, il faut apporter une approche agronomique dynamique et non-systématique. Nous exploitons 80 hectares répartis sur trois croupes avec des sols différents, nos pratiques de viticulture doivent s’adapter aux terroirs et ne sont pas tous les ans les mêmes. Le défi est d’avancer sans changer l’identité de la propriété.

Le dernier défi est la réflexion permanente que nous avons dans le contexte des changements climatiques. Nous plantons aujourd’hui pour la prochaine génération mais que sera le climat dans 80 ans ?

 


Vendanges 2022

Gerda : Avez-vous un souvenir des dernières vendanges ?

Lucie Lauilhé Ce sont mes premières vendanges seule à la tête de Château d’Armailhac et je ne garde que de très bons souvenirs. Elles étaient tellement faciles que je signe immédiatement pour les mêmes vendanges tous les ans. 2022 a été un millésime de tous les extrêmes avec un bref épisode de gel au printemps (mais sans conséquence sur notre propriété), et avec la chaleur et la sécheresse de l’été comme nous n’avons jamais connu. C’est incroyable, tous ces éléments n’ont pas eu un effet négatif sur le vin, et bien au contraire: il a un bel équilibre, un beau fruit éclatant et nous n’avons pas du tout les caractéristiques d’un millésime solaire comme le 2003 ou le 2018. En fait, le 2022 donne un résultat auquel nous n’avons pas du tout pensé au début. Comment l’expliquer…. La vigne est une plante qui a une incroyable capacité de métabolisme, elle est capable de ralentir sa croissance, ce qu’elle a fait très tôt dans la saison. La plante s’est économisée immédiatement. Grâce à cela, le 2022 a du relief, un bel équilibre et de l’acidité.

Un deuxième beau souvenir était le retour des vendanges conviviales. Nous avons fait de grandes tables de vendangeurs pour le déjeuner. C’est le moment où nous nous voyons le plus dans l’année et là, avec cette météo parfaite, il n’y avait aucun stress : ce n’était que du bonheur !

 


La marque Château d’Armailhac aujourd’hui et demain

: En quoi vos vins se distinguent, et sont uniques ?

Lucie Lauilhé : Château d’Armailhac est unique parce qu’il est le résultat d’une production sur ses propres sols, il ne peut donc ressembler à aucun autre. Ensuite, parce que nous recherchons à ce qu’il soit lui-même, sans maquillage ou l’idée d’en faire une bête de concours, juste lui-même, chaque année interprété dans un millésime.. Il est fait de son lieu qui se distingue par trois croupes de sols différents et complémentaires. La majorité des sols sont des graves profondes, mais nous avons aussi des graves sur un sous-sol argileux et une partie est constituée de sable graveleux. Le sol de Château d’Armailhac est très représentatif de l’appellation Pauillac. Aussi, le vin se distingue par ses vieux cabernets francs issus d’un matériel végétal unique. Ils sont très identitaires et apportent une signature marquante d’une grande finesse. Dans l’assemblage, ces derniers représentent 10 à 12% mais cela peut aller jusqu’à 16% comme dans le 2022. D’Armailhac est reconnu par son grand classicisme. Il a une puissance quand il est jeune mais il évolue vers l’élégance et la finesse après quelques années de vieillissement. Il a une grande capacité de garde. C’est une valeur sûre.

Pourriez-vous me définir un vin exceptionnel ?

LL : C’est un vin qui procure une émotion particulière, un vin unique qui représente un lieu unique. Le vin doit être identitaire et ne ressembler à aucun autre. C’est la force de nos Grands Bordeaux et des Grands Bourgognes.

: Laquelle de vos réalisations récentes aimeriez-vous faire partager à notre clientèle ? 

LL : Ce sont les nouvelles installations techniques de Château d’Armailhac, où le millésime 2021 a été le premier à être accueilli et vinifié. C’est un outil de performance incroyable qui nous donne une grande ambition pour le vin. Le chai a été longuement pensé avec les équipes techniques avec une approche de connaissance du lieu et des terroirs. Nous avons deux lignes de réception de la vendange. Cela nous permet de travailler au rythme de la maturité de la vendange et d’aller vite, si nécessaire. Il y a 50 cuves thermorégulées de différentes tailles pour aller encore plus loin dans le parcellaire voire intra-parcellaire. Il y a deux chais d’élevage implantés sur deux niveaux. Deux millésimes cohabitent ainsi. L’élevage de Château d’Armailhac dure en moyenne 18 mois. Travailler dans deux chais donne un grand confort aux équipes.

G : Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ?

Lucie Lauilhé Tout d’abord, nous allons faire une cartographie complète et détaillée de nos sols.

Nous faisons aussi une étude de contenants sur l’élevage au chai de certains cépages, en adéquation avec l’identité du cru et les changements climatiques qui influent sur le profil des raisins et du vin.

Aussi, nous avons en cours une sélection massale de nos  cabernets francs afin de conserver de la diversité dans notre matériel végétal sur la propriété. C’est un cépage qui est important pour nous à côté de nos cabernets sauvignons, merlots et petits verdots.

Enfin, avec la construction de notre nouveau chai, nous travaillons sur la valorisation des eaux de pluies, ainsi que sur la revalorisation du CO2 des vinifications, capté dans le nouveau chai.

Nous avons également un grand projet structurant et commun aux trois propriétés : la rénovation complète et l’agrandissement de notre Pôle Technique Viticole, au service de la qualité et de la sécurité du travail des vignerons, et de la vigne. La modernisation de cet outil est clé pour accompagner nos ambitions, et nous apportera plus de précision et de confort au quotidien.

G : Où en est votre propriété en matière de transition écologique ?

LL : Nous avons mis en place de nombreux processus pour diminuer notre empreinte carbone et pour produire de façon durable. D’abord au niveau du chai, il y a un vrai concept d’écoresponsabilité. Le toit du chai est équipé de panneaux photovoltaïques qui assurent une autonomie électrique du bâtiment et des bureaux. Nous avons un procédé novateur de récupération des eaux pluviales. L’eau récupérée sert aux différents besoins en eau de la propriété. Le système de thermorégulation des cuves est enterré et calorifugé limitant les déperditions de chaleur ou de froid. Le gaz carbonique émis durant la fermentation alcoolique est capté afin de pouvoir être réutilisé. Un stagiaire est dédié à ce sujet.

Ensuite, concernant la culture de la vigne, comme Caroline Artaud vous a expliqué, nous avons créé un poste et recruté une responsable développement agroécologique, Léa Manceau, depuis juillet 2021. La création de ce poste reflète une démarche transversale entre les trois propriétés Pauillacaises de la famille Rothschild, avec une implication des équipes de chaque château. Tous les sujets sont traités : comment diminuer notre empreinte carbone, les travaux des sols, faire de la biothérapie et biocontrôle …  C’est formidable car, ensemble, nous avançons plus vite sur ces problématiques et nous essayons de trouver des solutions culturales adaptées aux changements climatiques, à la rareté des ressources, à la perte accélérée de la biodiversité mais aussi à la multiplication des risques sanitaires environnementaux. Nous mettons en œuvre des actions et nous évaluons leurs effets en étant dans un processus continu d’amélioration de la qualité.

G : Vous êtes à la propriété depuis 2021, dans quel domaine y aura-t-il encore des changements dans l’avenir proche ? 

LL Nous n’envisageons pas de grands changements dans l’avenir immédiat, nous sommes dans une logique de continuité avec une adaptation plus fine de l’ensemble des process notamment viticoles. Tous les changements mis en place répondent à trois notions fondamentales pour nous : premièrement, le respect de l’aspect humain en privilégiant bien-être et épanouissement des collaborateurs, deuxièmement la garantie de la pérennité du lieu et, troisièmement, la protection de notre environnement. Tout cela, dans une remise en cause permanente afin d’améliorer nos pratiques.

Je souhaiterais aller plus loin dans la compréhension de nos terroirs et mettre en perspective ses adaptations au changement climatique. Cela nous permet également de remettre en cause en permanence nos pratiques viti-vinicoles, et ceci en collaboration avec nos vignerons et vigneronnes qui sont tous les jours sur le terrain. Cette connaissance plus fine permet de faire encore plus de sur-mesure au chai et d’aller encore plus loin dans notre travail d’orfèvre, car comme je vous ai dit précédemment : faire un grand vin est une somme de petits détails à la fois techniques et humains.

G : Pouvez-vous parler d’un millésime mémorable pour vous et pourquoi ?

LL : J’en citerai deux : 2022, c’est mon premier millésime à la tête de Château d’Armailhac et 1986, mon année de naissance. C’est étonnant comme ce vin a gardé sa tenue et son élégance. Dans ce vieux millésime je découvre déjà l’ADN de d’Armailhac. Les millésimes et l’influence humaine deviennent plus lisses avec les années mais le terroir reste.

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.