Inside La Place – Le terroir en deux versions

Pierre Montegut

Directeur technique

Rencontré par Gerda

Château Suduiraut

Premier Clu Classé en 1855, Sauternes


Sauternes est une des plus belles appellations de Bordeaux avec de très beaux paysages de vignes, de bois, de Châteaux et d’un patrimoine inestimable. C’est une région qui a un charme fou. Son syndicat viticole est présidé par 2 hommes dynamiques qui pensent que la promotion des sauternes doit passer par un œnotourisme attractif et moderne. Des grands entrepreneurs comme Bernard Arnault (Château d’Yquem), Silvio Denz (Château Lafaurie Peyraguey) la famille Rothschild (Château Rieussec) et récemment Matthieu Gufflet (Château Guiraud) avec l’actionnariat des familles Peugeot, Bernard et de Neipperg, ont investi dans cette appellation qui couvre 2 200 hectares. Des hommes et des femmes qui croient en cette appellation qui a beaucoup à offrir. Commençons par le vin lui-même. Dans cet Inside, nous mettons le focus sur un très grand Sauternes : Château Suduiraut, Premier Cru Classé en 1855 que l’assureur AXA a acheté en 1992 pour son terroir exceptionnel et pour créer un lieu de séminaire avec 61 chambres. J’ai posé mes questions au directeur technique Pierre Montegut (aussi directeur technique du Château Pichon Longueville Baron depuis avril 2022) autour d’un délicieux verre de Suduiraut 2009.

Xavier Sanchez, directeur commercial, a ensuite répondu à quelques questions sur le marché afin de mieux appréhender aussi leur politique de ventes.

Gerda : Pouvez-vous vous décrire en quelques lignes?

Pierre Montegut : Je me décris donc comme passionné, précis, et même méticuleux. Ce sont trois caractères qu’il faut avoir pour faire du Sauternes. Je suis fier de faire un liquoreux et j’adore parler de ce vin. Sauternes n’est pas mon premier amour liquoreux, avant d’arriver à Suduiraut, j’ai fait pendant 8 ans des liquoreux en Loire, à Bonnezeaux, au bord du Layon. Un autre grand terroir pour faire des vins d’exception.

Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement dans la pratique de votre métier ?

Pierre Montegut : Je dirai deux principaux défis : le premier est au niveau viticole, trouver les nouvelles adaptations au changement climatique et aller vers une viticulture plus respectueuse de l’environnement. Nous sommes confrontés à une maturité de plus en plus précoce ayant une influence sur les arômes et sur l’acidité. De plus, nous souhaitons produire mieux car avec les très petits rendements de ces derniers 5 millésimes, avec un 2021 historiquement bas, notre activité n’est plus économiquement viable. Aujourd’hui, nous plantons avec d’autres porte-greffes qui seront plus résistants aux aléas climatiques. L’année dernière, nous avons installé sur quelques parcelles des couverts végétaux. Le résultat était tellement prometteur que nous essayons d’adapter cette gestion du sol sur l’ensemble du terroir cette année.

Le deuxième défi est humain : trouver du personnel qui soit motivé pour travailler dans les vignes. Afin de répondre aux problèmes d’emploi, nous avons créé un groupement de 15 Châteaux en 2018. Ce groupement a notamment lancé une formation rémunérée, appelée « QV Sauternes » afin de recruter de nouveaux profils ayant envie de travailler dans le milieu d’agriculture. Nous avons un beau métier, mais qui est rude, car beaucoup de travail se fait dehors ou dans le chai, dans des conditions difficiles.


Vendanges 2022

Gerda : Pouvez-vous me donner un souvenir des vendanges 2022 ? 

Pierre Montegut :  Nous n’avons jamais vendangé aussi tôt pour les secs et aussi tard pour les liquoreux à Suduiraut. Les sécateurs ont été sortis le 18 août puis ressortis seulement la semaine du 10 octobre : une attente vraiment longue entre les vendanges de nos blancs secs et de nos liquoreux, 1 mois et demi et il n’y avait rien à faire dans les vignes, pas simple pour les équipes. Une situation jamais rencontrée auparavant, sinon les vendanges n’étaient pas compliquées. Quant à moi, j’ai pu profiter dans le calme des vendanges à Pichon Baron entretemps qui se sont passées sous un temps de rêve.

Je suis content du résultat de nos vins à Suduiraut. Il y a une belle acidité avec un pH bas et le vin a une énorme richesse. La montée du degré en alcool a été plus rapide qu’en 2003. Dans la semaine du 10 octobre, nous avons ramassé exactement le samedi 15 octobre. La semaine suivante, entre le lundi 17 et le jeudi 20 octobre les degrés ont augmenté jusqu’à 25 %. Je n’ai jamais vu une concentration aussi rapide depuis mon arrivée à la propriété en septembre 2004. Néanmoins pas d’inquiétude, nous faisons notre assemblage la semaine du 12 février avec Christian Seely et Eric Boissenot et je suis convaincu que le résultat final ne se traduira pas par un vin lourd, car notre premier tri est vif et notre deuxième tri présente un botrytis élégant. C’est la magie de nos assemblages, un merveilleux équilibre est recherché chaque année en respectant la typicité du millésime. Malheureusement, le rendement a été encore une fois bas, entre 7 et 8 hectolitres par hectare. C’est vraiment triste, 5 années consécutives avec de petites quantités, heureusement la qualité a été au rendez-vous.


Sauternes

Gerda : En quoi Château Suduiraut se distingue et est unique ?

Pierre Montegut : Suduiraut a un vrai style Sauternes. Il a une attaque puissante avec beaucoup de fruits. Il a de la tension et en vieillissant, il est de plus en plus mentholé. Il a une finale très nette et tendue qui ressemble à un Barsac. Son côté voluptueux en bouche est contrebalancé par la tension. Il a une puissance sans lourdeur et un retour aromatique sur le palais qui n’est pas pesant. Ce sont toutes les qualités que nous retrouvons dans ce magnifique millésime 2009 que nous sommes en train de déguster

GVous produisez 3 blancs secs : Château Suduiraut Vieilles Vignes, Château Suduiraut pur Semillon, Lions de Suduiraut. Pourquoi un blanc sec sur un terroir de Sauternes ? 

PMQuand je suis arrivé en 2004, nous avons fait plein de micro-vinifications pour des blancs secs. Christian Seely est un grand fan des sémillons d’Australie (Tyrrell’s de Hunter Valley) et d’Afrique du Sud. Les essais ont donné des grands résultats et petit à petit, nous avons fait le choix de monter dans la gamme de l’offre des blancs secs. Le S de Suduiraut 2004 (aujourd’hui le Lion de Suduiraut) a été le premier millésime commercialisé. Nous avons crée en 2015 la cuvée Lions de Suduiraut Blanc sec et depuis le millésime 2020, nous produisons aussi le Château Suduiraut Vieilles Vignes, Blanc Sec, et Le Château Suduiraut Pur Sémillon.

Nous sommes fiers de nos vins blancs secs et nous pensons qu’ils sont, d’un point de vue qualitatif, au même niveau que nos liquoreux. C’est un choix parcellaire, mais aussi un choix de montrer le terroir en deux versions : une version liquoreuse et une version blanc sec. Même s’il existe un regain d’intérêt certain pour les Sauternes, c’est fascinant de faire des blancs secs. Quant au choix parcellaire, nous commençons à déguster les raisins dès le mois d’août. Les raisins d’un même rang de vigne sont dégustés en équipe avant notre choix d’en faire du vin blanc sec ou du liquoreux. La même parcelle peut être divisée en 2 ou 3 zones. Le même rang peut faire du blanc sec une année et l’autre année du liquoreux. Christian Seely et Eric Boissenot nous aident dans les assemblages finaux. L’élaboration d’un vin, c’est comme superposer des cartes, d’abord un travail d’expérience est accompli puis les choses peuvent basculer au moment des assemblages. Comme je dis souvent, je préfère choisir que faire par défaut, c’est un travail de haute précision que j’apprécie beaucoup.

Aujourd’hui, nous faisons 30 % de notre production en blanc sec et notre objectif est d’évoluer vers 40 % de notre récolte.

G : Avez-vous des modèles en terme gustatif lors de la naissance de vos blancs secs ?

PM : Oui, j’aime beaucoup les vins blancs avec de la tension et de la fraîcheur comme ceux de la Loire ou du Chablis. Partout, il y a des vins blancs secs intéressants, comme au Portugal ou en Hongrie avec les vins blancs du lac de Balaton qui sont faits avec des cépages locaux. Aussi, j’adore les grands Rieslings Allemands qui ont peu de sucre. Ce sont des vins appétant, complexes donnant envie de prendre un second verre

: Laquelle de vos réalisations récentes aimeriez-vous faire partager à notre clientèle ?

PM : La création de nos vins blancs secs depuis mon arrivée. Ce sont de vraies créations de cuves et pas de marques. Ils permettent une autre perception de notre terroir. Pour chaque vin, de nombreux tests ont été effectués et par exemple, le Pur Sémillon 2020 est la première mise en marché après 4 tests ! Pour ce vin, nous avons choisi une parcelle avec des vieux pieds de sémillon de 60 ans avec le climat du millésime 2020 le résultat était parfait. Le vin est complètement l’opposé de ce que beaucoup de monde attend d’un sémillon. Il est cristallin et très minéral tout ce que nous aimons.

G  : Où en est votre propriété en matière de transition écologique ?

PM : Château Suduiraut est une propriété de 180 hectares avec 90 hectares en forêts. Nous travaillons à construire un lien entre notre environnement viticole et notre environnement sauvage forestier à l’aide d’un corridor écologique. Ce projet d’agroforesterie permet de briser cette monoculture de vignes, et ces plantations de haies favorisent à la fois notre biodiversité et la circulation des animaux entre ces deux espaces, nous avons été heureux de voir des lièvres dans nos vignes, c’est une grande satisfaction de faire revenir la faune. Également, nous implantons des ruches en lisière de forêts, le retour des abeilles est indispensable à un écosystème diversifié. Nous sommes en agriculture raisonnée et certifié HVE. Nous utilisons des produits de contact la plupart du temps cuivre et souffre, comme dans l’agriculture biologique et si nécessaire, nous utilisons encore des produits de synthèse doux uniquement à la floraison, si la météo est capricieuse.

G : Pourriez-vous nous donner un millésime mémorable et pourquoi ?

PM : J’en ai beaucoup mais j’aimerais parler du millésime 2009 que nous savourons ensemble. 2009 a été une année parfaite au niveau climatique : sans gel, avec une pluviométrie raisonnable et un ensoleillement parfait. Chaque saison a été bien marquée sans excès. Le botrytis est arrivé la dernière semaine de septembre et mi-octobre nous avons fait notre dernier tri. Les nuits ont été fraîches donnant des arômes du même style. La maturité était optimale, ce qui se traduit par cette belle concentration avec beaucoup de complexité. Il n’y avait pas la course pendant les vendanges et nous avons fait 5 tris en toute tranquillité. Malgré toutes ces conditions optimales, nous avons fait uniquement 50 % du premier vin car comme je vous ai dit dans l’introduction je suis quelqu’un de méticuleux, on peut même dire « pénible ». Nous voulons que le meilleur pour Suduiraut et le millésime 2009 est un parfait exemple de notre patience et de notre exigence.


Vin dégusté

Gerda : Suduiraut 2009 : Il a des arômes mentholés, il est frais et il a de la droiture concentrée. Il a quelques fruits confits mais, est encore davantage tourné vers les agrumes enrobés avec un petit peu d’ananas. Il est encore trop jeune pour développer des arômes de safran qui sont retrouvés dans les très vieux millésimes de Suduiraut. En final, s’exprime du gingembre, du citron confit et de la salinité. Il a un équilibre parfait et comme Pierre a très justement dit : il est comme un danseur qui ne montre pas ses muscles. Il faut le savourer sans modération car on trouve avec ces vins exceptionnels de l’optimisme dans son verre !


Le commerce

Gerda : Quelles sont vos priorités en termes de développement commercial ? 

Xavier Sanchez : Notre priorité porte sur le développement de notre gamme de vins blancs secs : Les Lions Secs de Suduiraut et le Grand Vins Blanc Sec du Château Suduiraut. Ce dernier est un très grand vin blanc, sec, produit sur un terroir 1er grand Cru classé, sur des parcelles ciblées, exclusivement des vieilles vignes et avec pour cépage majoritaire le Sémillon.

G : Quels supports d’aide à la vente sont à disposition des distributeurs pour promouvoir vos vins ?

XS : Notre force est essentiellement portée sur nos ressources humaines disponibles sur le terrain. Nous avons de nombreux ambassadeurs présents sur les plus grands marchés : les Etats-Unis, l’Angleterre, la Chine. Nous sommes toujours dans l’accompagnement avec nos partenaires.

G : A quels millésimes le marché devrait s’intéresser et pourquoi ?

XS : Au Château Suduiraut, notre objectif principal est de toujours mettre en marché le plus grand vin, la plus grande qualité possible. Parfois au détriment de la quantité. Par conséquent, nous sommes réguliers dans nos qualités mais je recommanderai certainement le millésime 2009 (l’un des meilleurs depuis ces 20 dernières années) et le millésime 2013 (très grande réussite).

G : Prévoyez-vous des sorties commerciales ou mises en marché dans un futur proche ?

XS : Le début d’année est relativement actif pour notre Château Suduiraut. Notamment avec la mise en marché fin février de notre Lions Sec de Suduiraut millésime 2022. Puis, début mars, avec la mise en marché de notre Château Suduiraut millésime 2013.

G : Avez-vous des stocks que nos clients pourraient travailler ?

XS : Nos quantités disponibles ne sont pas si grandes mais nous pouvons travailler correctement sur tous les millésimes à partir du 2009.

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.