Inside La Place – L’entrepreneur du vin

Jean-Guillaume Prats 

Président du Château d’Estoublon

Vice-président du Château Léoville Las Cases

Rencontré par Gerda


 

Gerda : Pouvez-vous présenter votre parcours ?

Jean-Guillaume Prats Médocain, baptisé et marié à Saint-Estèphe, j’ai été président-directeur-général de Cos d’Estournel pendant 14 ans. Une belle aventure durant laquelle nous avons créé Cos Blanc de toutes pièces, et aussi fait entrer l’innovation au sein de la propriété avec notamment la création du nouveau cuvier, qui a depuis été une source d’inspiration pour beaucoup. Puis, j’ai quitté Bordeaux et pendant plus de 5 ans, j’ai été président des vins de LVMH dans le monde : 17 domaines au total. Une aventure extraordinaire pendant laquelle j’ai relancé Cheval des Andes en Argentine et créé Ao Yun en Chine, puis entre autres Chandon en Inde et Chine et Te Wahi à Central Otago. Ensuite, j’ai eu l’immense privilège d’être Président des Domaines Baron de Rothschild (Lafite)

J’ai toujours souhaité embrasser une carrière d’entrepreneur et j’ai eu à cœur de développer des projets autour du vin. Je me suis associé avec mon ami Stéphane Courbit, notre ancien Président Nicolas Sarkozy et son épouse Carla Bruni pour acheter le Château d’Estoublon en Provence. La propriété compte 200 hectares, dont 20 plantées en vignes et 120 en oliviers. Nous y produisons des vins rouges, rosés et blancs en appellation Baux-de-Provence. Nous avons aussi créé un rosé Provençal qui s’appelle Roseblood et nous produisons une huile d’olive haut de gamme (la seule huile membre du Comité Colbert). Sur la propriété, il y a une demeure datant du XVIII siècle qui possède dix suites de luxe.

Je reste néanmoins à Bordeaux aux côtés de Jean-Hubert Delon, propriétaire des Domaines Delon : Châteaux Léoville Las Cases, Potensac et Nénin. Jean-Hubert m’a demandé de l’assister pour préparer l’avenir de ses propriétés.

 

(crédit photo @morganpalun)


Terroirs, Vignes et Chai

 

Gerda : À Bordeaux, 2021 fut un millésime relativement équilibré avec de l’humidité. Cette année 2022 a été extrêmement chaude et sèche et aura sans aucun doute, marqué les vignerons Bordelais. Quels sont les principaux défis techniques auxquels Bordeaux va être confronté dans les prochaines années ?

Jean-Guillaume Prats : C’est très simple. Les défis sont de deux sortes : d’une part la nécessité de l’adaptation du matériel végétal et des techniques viticoles, et d’autre part la problématique de la gestion de l’eau. Je ne m’inquiète pas du tout car Bordeaux et son vignoble ont toujours su s’adapter. Nous comptons à Bordeaux parmi les plus grands scientifiques et universitaires/chercheurs du monde viticole. Nos vignobles sont également un exceptionnel terreau de talents très variés et de tous horizons.

: En Europe particulièrement, le changement climatique est au cœur des discussions. Comment les propriétés les plus prestigieuses devraient-elles prendre en compte ces nouvelles préoccupations selon vous ?

Jean-Guillaume Prats : Le sujet n’est pas le changement climatique pour moi. Le sujet de notre métier est comment s’inscrire dans les changements profonds qui touchent le monde. Nous sommes aujourd’hui 8 milliards de personnes sur cette terre. Les propriétés les plus prestigieuses sont juste un petit grain de sable. La question suivante est plus importante il me semble modestement : comment l’agriculture va-t-elle réussir à s’adapter, et à inscrire profondément les changements climatiques, sociétaux, et macro-économiques dans son organisation ? Le sujet n’est pas seulement le climat, il va au-delà.

G : Pour un grand cru, le bio est-il obligatoire ? Ou chacun fait comme il veut ?

Jean-Guillaume Prats : Je ne sais pas ce que veut dire « bio ». Il faut respecter le terroir et les générations à venir. Sur cela nous sommes tous alignés.

: En 1982, 1990, ou même plus récemment 2009, 2010, les châteaux réalisaient de beaux rendements et des vins exceptionnels. Dernièrement, le sentiment prédominant est que cela n’est plus possible. Pour produire des vins d’exception, les propriétés sont-elles vouées à produire de faibles quantités ?

Jean-Guillaume Prats : Il n’y a pas une seule réponse… La viticulture doit protéger son environnement et en produisant des rendements plus importants, le risque de développer des maladies est plus élevé. Deux autres paramètres incitent à une sélection drastique :

  • Nous sommes dans une compétition mondiale des Grands Vins, et Bordeaux doit être très sélectif sur ce qui est mis dans la bouteille, la concurrence est importante,
  • Quand les prix sont élevés, le risque d’être mis en cause pour la qualité n’est tout simplement pas une option.

Il y a donc peu d’options alternatives.

 

Château Léoville Las Cases

 


Propriétés et marques 

 

Gerd: Vous êtes plutôt spécialisés dans les grands vins, mais existe-t-il encore un avenir à Bordeaux pour les petits châteaux ?

Jean-Guillaume Prats : Le sujet est sociétal et politique. Je me permets de faire un parallèle entre l’évolution de l’industrie textile du Nord de la France, et la situation actuelle de la viticulture à Bordeaux. Nous produisons 5 millions d’hectolitres par an et nous vendons 3,5 millions d’hectolitres. Il faut donc aller vers une reconversion sociale et économique, car nous ne pourrons pas créer de la demande pour ce surplus de production. Malheureusement, pour la viticulture générale bordelaise, nos hommes politiques n’ont pas encore trouvé la bonne martingale. Ces démarches de reconversion sont compliquées et fastidieuses. Je ne suis pas un élu et me garde bien de porter un jugement critique à l’encontre de ceux qui font de leur mieux dans un contexte terrible.

: Vous avez parcouru le monde et ses vignobles au cours de votre carrière, Bordeaux a-t-il toujours beaucoup d’atouts ?

Jean-Guillaume Prats : Oui, Bordeaux a encore beaucoup d’atouts remarquables comme :

  • Son terroir, sa magie, ses châteaux, sa simplicité,
  • Son écosystème avec La Place de Bordeaux qui est extraordinaire pour la parole des marques à travers le monde,
  • Ses pôles de compétence pour la recherche et pour les formations qui sont de très haut niveau et reconnus dans le monde entier.

J’ajouterai un dernier point important : la prospérité des Grands Vins de Bordeaux à travers le temps. Nous pouvons quantifier cela à travers les investissements réalisés à différentes époques (anciennes ou récentes) dans les cuviers, c’est unique au monde.

Mon parcours m’a amené dans le monde entier, notamment en Australie, Nouvelle-Zélande, Argentine, Californie, Italie, en Chine et la Provence récemment. Je peux vous dire qu’il n’y a pas d’autres endroits dans le monde où tous ces éléments sont réunis. C’est formidable.

G : Que pensez-vous des systèmes de notations des vins aujourd’hui ?

Jean-Guillaume Prats : Je me demande si ce système pour les plus grands vins au monde parle encore aux consommateurs et donc s’il est désirable. Peut-être que collectivement (médias et producteurs) il nous faut trouver une nouvelle manière de parler et de transmettre du rêve et de la désirabilité ? Personnellement, je n’ai pas d’avis tranché sur ce qu’il faut faire, à chacun son métier.

G : La hiérarchie « qualité, désirabilité, et prix » entre grands crus bordelais vous semblent-elles encore ouvertes aux évolutions de nos jours ?

Jean-Guillaume Prats : Personne n’est capable de dire le prix que l’amateur est prêt à mettre dans une bouteille qui sera consommée donc détruite. Quand on voit aujourd’hui les prix des montres ou des voitures d’exception, personne n’aurait prédit une telle envolée il y a 10 ans. C’est peut-être une indication pour nos vins… Il y a une certitude : il faut que le produit soit exceptionnel, la médiocrité ne peut pas exister à de tels niveaux de prix.


La distribution aujourd’hui et demain

 

Gerd: Autrefois, les châteaux commercialisaient la quasi-totalité de leur production en primeurs, est-ce que cette tendance est révolue ?

Jean-Guillaume Prats : Il me semble oui, car les consommateurs veulent accéder à des vins plus prêts à boire rapidement, sans avoir besoin de les stocker pendant 10 ans. Quand la propriété conserve les vins, elle est alors capable de proposer des bouteilles qui sont en plénitude. Ce n’est pas un problème de stocker les vins pour la propriété, car elle les finance sur la base du prix de revient.

G : Comment voyez-vous l’inflation des prix des plus grands domaines ces dernières années ?

Jean-Guillaume Prats : Cela va continuer et concerne tous les grands vins de la planète, de la Californie, en passant par la Toscane et comme ici à Bordeaux. C’est comme un appartement sur Central Park à New York. Ce sont des endroits d’exception qui n’ont pas de prix.

G : A Bordeaux, nous avons un système très particulier de Place. Ce système de distribution ouvert est-il un avantage pour les importateurs et distributeurs qui sont les clients du négoce ?

Jean-Guillaume Prats : C’est un avantage exceptionnel, car il permet aux importateurs et aux distributeurs d’acquérir de grandes bouteilles et d’avoir accès à un service logistique et de consolidation parfait à moindre coût. De plus, ce système permet d’acheter uniquement ce dont l’importateur ou le distributeur a besoin.

G : Ces dernières années, nous avons constaté un intérêt du marché pour la commercialisation via La Place, de vins hors Bordeaux. Comment expliquez-vous cette tendance ?

Jean-Guillaume Prats : De deux manières : premièrement, les grands amateurs de vin sont de plus en plus éclectiques. Le lundi, ils boivent du Bordeaux, le mardi, un Espagnol etc… C’est la nouvelle façon de consommer. Deuxièmement, La Place de Bordeaux est une formidable plateforme d’efficacité. Elle est d’une grande valeur ajoutée pour la distribution, les marques et donc le consommateur.  Les négociants génèrent ainsi de nouvelles marges qu’ils peuvent investir dans leurs Maisons respectives et la qualité de leur équipes, ceci en retour au profit ces Crus Bordelais.

 


Conclusion

 

G : Selon vous, qu’est-ce qui caractérise une bouteille d’exception ?

Jean-Guillaume Prats : La faculté à procurer un moment de sérénité et une pause intemporelle. Quand une bouteille d’exception est ouverte, il faut avoir le sentiment que les agressivités du monde extérieur disparaissent et être dans une bulle de sérénité. C’est une alchimie extrêmement complexe : le goût de la perception, l’histoire et un petit peu de magie. C’est la beauté du moment.

Gerda : Pour finir, avez-vous en mémoire le souvenir d’un vin qui a marqué votre vie ? Pourriez-vous nous décrire votre émotion ?

Jean-Guillaume Prats : Cos d’Estournel 1870 que j’ai pu déguster à plusieurs reprises au Château Lafite, à Londres, et à Cos. Sur toutes les dégustations à l’aveugle que j’ai pu faire de ce vin, j’ai toujours pensé que c’était le millésime 1982. C’est un témoignage que Bordeaux fait des vins intemporels.

 

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.