Inside La Place – Le Globetrotter et la Biodynamie

Mathieu Bessonnet 

Directeur Technique

En poste depuis 2020

Rencontré par Gerda

Château Pontet-Canet

5ème Grand Cru Classé en 1855

Pauillac


 

L’Inside avec Justine Tesseron était une de mes premières interviews, une jeune femme dynamique, avec une vraie vision sur Château Pontet-Canet et le monde du vin en général. Je reviens vers cette magnifique propriété pour échanger avec son directeur technique, Mathieu Bessonnet qui a rejoint le Château en mai 2020. Mathieu a la fibre de la biodynamie dans l’âme, tout en gardant son côté pragmatique. Pour lui, « Pontet-Canet est surtout le vin d’un lieu unique, il n’y a pas de recette miracle, il faut accompagner la plante afin qu’elle retrouve son meilleur environnement naturel ».  

Gerda : Pouvez-vous présenter votre parcours ?

Mathieu Bessonnet Je suis Bordelais et je suis tombé amoureux du vin grâce à un professeur de géographie passionnant. Il avait organisé une dégustation de vins avec des expressions de terroir différentes. C’était superbe ! J’ai immédiatement su que je voulais travailler dans ce domaine. Cela nécessite de multiples compétences telles qu’un sens aigu de l’observation, mais aussi un haut niveau scientifique et une connaissance des traditions. J’ai fait des études d’ingénierie viticole à Toulouse avec des stages au Maroc, mais aussi dans l’Entre-deux-Mers. C’est en Australie que j’ai découvert la biodynamie. De retour à Bordeaux, j’ai travaillé au Château Bon Pasteur et au Château de Pressac avant de partir avec ma famille en Arménie pendant 3 ans. Ensuite, j’ai rejoint Michel Chapoutier comme directeur des entités en Alsace, Beaujolais, Provence, et Ribera del Duero au Portugal. Étant également responsable de la structure australienne de Chapoutier, je faisais régulièrement des voyages en Australie afin de suivre les domaines. Par la suite, je suis revenu à Bordeaux, car il ne faut pas oublier que Bordeaux est très bien placée sur la carte du monde ! J’ai travaillé pendant un moment avec Jean-Michel Comme. Le courant est vite passé. Jean-Michel est parti, mais Justine Tesseron, l’équipe et moi continuons l’œuvre de la biodynamie qu’il a mise en place avec la famille.


Culture de la vigne

 

Gerda : Dans quel état d’esprit abordez-vous les évolutions climatiques ?

Mathieu Bessonnet J’aborde les évolutions climatiques aujourd’hui avec moins de certitudes qu’en mars de cette année. 2022 m’a marqué humainement. J’ai fait beaucoup de voyages dans des pays chauds comme l’Australie, je ne pensais pas que Bordeaux pouvait être si vulnérable. Heureusement, nous avons fait beaucoup de choses pour amortir l’impact de la sècheresse et de la canicule, mais il faut aller plus loin pour rendre le vignoble encore plus résilient.

Nous pensons que les solutions se trouvent dans un ensemble de paramètres à considérer, comme par exemple : la couverture du sol avec de la matière organique, la hauteur des vignes, le changement de porte-greffe et l’orientation des vignes. A Pontet-Canet, nous avons de la chance d’avoir de très vieilles vignes. Aussi, un énorme programme sur la sélection massale de nos cabernets sauvignons, cabernets francs et merlots a été mis en place afin de détecter les meilleurs pieds et de mesurer la biodiversité de chaque pied. Nous suivons 300 pieds et c’est un travail sur le long terme de 5 à 10 ans.

L’évolution climatique est à la fois passionnante, et nécessite d’aller plus loin dans l’expérimentation, l’observation. Il faut aborder le sujet avec beaucoup d’humilité, il n’y a pas de recette miracle.

: Vous avez acquis une solide expérience avant d’arriver ici, en quoi les vignes de Pontet-Canet sont différentes?

Mathieu Bessonnet : Les vignes de Pontet-Canet ont une résistance incroyable. Elles donnent au vin une puissance naturelle. Il faut faire les extractions avec beaucoup de précision, car c’est très facile de monter rapidement en puissance. Nous sommes attachés à ce que le vin exprime : finesse et équilibre. Cette année, le merlot a donné une structure surprenante après seulement 2 jours de fermentation. Je n’ai pas l’habitude de voir un raisin qui donne sa puissance aussi rapidement.

G : Comment quantifiez-vous le caractère vivant de vos sols ?

Mathieu Bessonnet Bien, même si nous n’avons pas la même vie dans toutes les parcelles. Nous faisons tout pour augmenter cette vie partout en cassant la monoculture et en créant de la biodiversité. Je peux vous citer 3 exemples de démarches que nous avons mis en place :

  • Nous laissons la biodiversité dans la vigne avec un enherbement naturellement présent : beaucoup de mauves, petite oseille, puis aussi des pissenlits, du plantain, de la camomille. Ce sont ces plantes qui participent à la biodiversité. Grâce à cet enherbement naturel, nous sommes capables de caractériser ce sol (vie, compaction, teneur en matière organique, etc…).
  • Notre politique de plantation se poursuit et nous avons mis en place 3 kilomètres de haies.
  • Nous avons conduit une étude sur les vers de grappes. Pour les éradiquer, nous n’avons pas mis en place la confusion sexuelle, mais nous avons mis en liberté des micro-guêpes qui pondent dans les œufs des vers de grappe et qui les tuent. La solution s’est trouvée dans un parasite prédateur et en 2022, nous n’avons eu aucun problème.

Ces démarches participent à amener du bon au vivant de nos sols.

 

: Combien d’hectares sont travaillés avec les chevaux et quelles tâches accomplissent-ils ? Comment recrutez-vous les collaborateurs qui travaillent avec les chevaux ?

Mathieu Bessonnet Nous avons 81 hectares de vignes à Pontet-Canet dont la moitié est travaillée par les chevaux. Il y a 2 ans, nous avons changé notre politique. Nos chevaux travaillent maintenant dans tout le vignoble, mais par tâche. Ils font le griffage, le buttage, les traitements biodynamiques et le transport d’une partie des vendanges. Nous avons gagné en précision en travaillant avec les chevaux et ils apportent une sérénité dans notre travail. Nous avons aujourd’hui 9 chevaux et un 10ème arrive bientôt. 

Quant au recrutement, nous le faisons en externe ou en interne et jusqu’à maintenant nous n’avons eu aucun problème pour trouver des gens motivés. Le cheval est un grand sportif, il faut le faire travailler, nous ne l’utilisons pas pour le plaisir, sans bien sûr l’exploiter et revenir au moyen-âge. Nous sommes très regardants sur le bien-être du vigneron mais aussi du cheval. Nous travaillons en synergie avec des professionnels afin de progresser.

G : Avez-vous encore des tracteurs ? Quelles modifications constatez-vous années après années sur vos sols, sur vos vignes ? 

Mathieu Bessonnet : Nous avons encore des petits tracteurs légers qui ont 30 à 40 ans. Nous les utilisons pour le travail du sol, car ils sont très légers. Depuis la mise en place de notre démarche bio et biodynamie en 2004, nous constatons que notre sol est beaucoup moins compact, il est aéré et quand il pleut, nous n’avons pas le problème de lessivage. Nos vignes sont plus en équilibre avec la diversité des plantes dont je vous ai parlé. Le travail des chevaux dans les vignes a commencé en 2008. Nous avons pu préserver des très vieux pieds, l’âge de nos vignes est de 55 ans sur des croupes de graves, elles rendent Pontet-Canet unique.

G : Vous pratiquez le non-rognage depuis combien d’années ? Pourriez-vous arrêter cette pratique maintenant ?

Mathieu Bessonnet : Non, je ne crois pas, même si le non-rognage est beaucoup plus cher, car il faut passer plusieurs fois dans la vigne pour faire des ponts avec les branches. Grâce au non-rognage, les vignes sont moins sensibles aux maladies, les grappes sont plus aérées et plus lâches : elles ont moins d’entre-cœur et sont donc moins sensibles au botrytis. Le non-rognage donne un vrai gain qualitatif. Nous ne faisons plus d’effeuillage non plus.


La révolution technique

 

Gerd: Vous avez cassé les codes en repensant la vinification, en cherchant une empreinte neutre de l’Homme. Après 5 vendanges effectuées avec cette démarche dans ce nouveau chai, que pensez-vous de cette révolution ? 

Mathieu Bessonnet : Je ne dirai pas que c’est une révolution. L’éraflage à la main existe déjà depuis très longtemps, nous cherchons et nous préférons des solutions peu énergivores en faisant un seul vin qui est un vin d’un seul lieu. Nous sommes très contents du résultat. C’est une progression, à la fois pour l’environnement et pour la qualité du travail. Il n’y a aucun bruit de moteur. L’atmosphère dans la cuverie est paisible. Nous vinifions en « bas-carbone », respectueux du raisin et en harmonie avec l’environnement. C’est bénéfique à tous les niveaux.

: Vous avez remis l’Homme au cœur du processus en n’utilisant aucune trieuse, aucune pompe, aucun tapis de convoyage. Trouvez-vous toujours des personnes pour travailler avec vous ? Comment vos équipes ont vécu ses modifications de pratique ?

Mathieu Bessonnet Nous avons des soucis comme tout le monde pour trouver des employés, mais oui il y a des gens qui sont plus motivés pour travailler dans un Château appliquant la viticulture en biodynamie !

Quant à la question comment mon équipe a vécu les modifications de pratique, c’est à eux qu’il faut demander. J’ai l’impression que mes collaborateurs appliquent ces modifications avec fierté et enthousiasme. Quand on leur explique pourquoi et comment, les employés comprennent et adhèrent rapidement.

G : Vous avez été précurseurs dans l’utilisation des amphores pour l’élevage du vin, la proportion barrique-amphore est-elle amenée à évoluer ? 

Mathieu Bessonnet : Nous élevons 35% du vin en amphores et en possédons aujourd’hui 100. Nous n’avons pas l’intention de changer la proportion barrique-amphore. Le but d’utilisation des amphores est la préservation du fruit et de faire un vin qui n’est pas marqué par le bois. Nous faisons l’élevage en amphores des vins de presse, pour le petit verdot le résultat est superbe ou pour des lots qui sont parfaitement équilibrés à la fin de leur fermentation malolactique. L’élevage en barrique se fait pour des lots qui ont une structure ou une finale plus légère. Sur les lots de nos vieilles vignes, l’élevage en amphore est incroyable. Il apporte de la précision et un fruit éclatant.

G : Le style de Pontet-Canet a-t-il changé grâce à la biodynamie ?

Mathieu Bessonnet Il y a toujours quelques petits réglages à faire, mais oui, grâce à la biodynamie nous avons gagné en palette aromatique, en élégance, en pureté et en buvabilité. Pontet-Canet a gagné en milieu de bouche. Il est plus harmonieux, avant il pouvait être rustique. Tous les vins que nous faisons maintenant sont prêts à boire plus jeune sans perdre leur aptitude au vieillissement.

La biodynamie est comme une boîte à outils pour prendre des décisions, elle ne donne pas une recette miraculeuse, mais elle reste à nos yeux la meilleure façon pour faire un vin exceptionnel. Château Pontet-Canet est un vin du lieu : les tisanes sont faites avec les plantes de la propriété, comme les semis. Nous cherchons toujours des solutions locales. Notre objectif est de faire du vin de grande qualité, pas de la biodynamie en soit.

 

 


Vendanges 2022

 

Gerd: Pouvez-vous dire quelques mots sur les vendanges et la qualité du 2022 ?

Mathieu Bessonnet C’étaient des vendanges de tous les choix, car il n’y avait aucune contrainte, ni par les maladies, ni par la météo. Nous avons vendangé en 20 jours, normalement la durée est autour de 10 jours. Nous avons pris le temps d’attendre la maturité optimale pour chaque parcelle. Dans ce sens, le millésime était très paisible et agréable.

Quant à la qualité, le millésime montre une puissance incroyable avec une belle acidité persistante. Cela montre que nos vieilles vignes sont résilientes. En plus de notre accompagnement des vignes par notre pratique de la biodynamie, nous les avons pulvérisées avec de l’argile cette année. C’est une recette australienne qu’ils appellent « sun-screen ». C’est une argile qui est utilisée pour la porcelaine de Limoges. Elle protège les feuilles et les raisins contre les brûlures et le stress provoqués par le soleil et la sècheresse. De plus, nous avons reçu un petit cadeau du ciel : 15 mm d’eau le 15 août, cela a fait du bien à tout le monde ! Malheureusement, le rendement est petit et en dessous de la moyenne de ces dix dernières années ; nous faisons de l’agriculture et nous sommes donc dépendants des aléas de la nature. La qualité sera, quant à elle, au rendez-vous !

 

 


Bouteille de coeur de Mathieu Bessonnet

 

Gerda : Pourriez-vous me donner une bouteille de cœur ?

Mathieu Bessonnet : Question difficile, mais je dirai l’Ermitage Blanc de Chapoutier. C’est le lieu-dit : l’Ermite, un terroir magnifique. Pour moi, c’est l’un des meilleurs blancs au monde, en biodynamie issue du cépage Marsanne. Je garde des souvenirs inoubliables de ce très grand blanc. Il est fin, vivant avec une salinité magnifique. Je me rappellerai toute ma vie des discussions partagées avec mes anciens collègues autour de cette très grande bouteille.

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.