Inside La Place – Le vin au service de la gastronomie

Véronique Dausse 

Directrice générale

En poste depuis 2010

Rencontrée par Gerda au Château

Château Phélan Ségur

Saint-Estèphe


 

Gerda : Parlez-nous de vous…

Véronique Dausse: Je suis passionnée de vin mais aussi d’apprendre, j’aime vivre des aventures, faire grandir les Hommes, l’esprit d’équipe, mener des projets, travailler, et construire.

Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontée personnellement, dans la pratique de votre métier ?

Véronique Dausse Je vais peut-être vous surprendre mais « Dame Nature » n’est pas le principal défi pour moi : c’est notre métier et il faut coopérer avec elle, même si elle nous met à rude épreuve depuis quelques années et nous oblige à nous remettre en question pour le court et moyen terme ; et tout cela en ayant une préoccupation de viticulture vertueuse et un objectif de durabilité.

Mon vrai défi est plutôt humain : celui de comprendre les « jeunes » de 25 ans, ces hommes et femmes que j’intègre dans mon équipe. Je suis d’une génération et d’un modèle d’éducation qui se réalise par le travail. Sur ce point, il y a aujourd’hui un gros changement. Les « jeunes » n’ont plus les même références, les mêmes aspirations et la même vision de vie. La Covid a accéléré cette tendance. Il s’agit de composer avec leur demande de sens (et il y en a à Phélan si on prend conscience de la valeur de son rôle), leur aspiration à un nouvel équilibre de vie et leur impatience. Pour ce qui est de ceux qui intègrent « la vigne ou le chai », il s’agit de les convaincre que leur métier qui est difficile, est aussi riche de satisfaction et noble (des générations ont entendu : si tu ne travailles pas bien, tu finiras à la vigne !). Nous participons à deux programmes de formation, l’Ecole de la Vigne et les Vignerons du Vivant qui permettent à des jeunes ou à des adultes en reconversion d’intégrer nos propriétés : cela ne fonctionne pas toujours mais nous avons de très belles réussites. Je n’arrive pas à me résoudre à opter pour une solution « tout en prestation externalisée » bien que nous y ayons recours quand la nature s’accélère ou par « manque de bras ». Le respect de l’autre et de son travail et l’entraide sont de mise à Phélan. Ici, il n’y a pas de « White collar » ou de « Blue collar » ! Je n’aime pas dire que Phélan est une famille pourtant il y a un vrai esprit. Mais, cela implique l’adhésion au projet, un engagement sans faille, le sens des responsabilités. Parfois, la passion naît et vous prend. L’action de chacun fait partie d’un ensemble. Si celle-ci réussit, chacun peut mesurer sa part de succès. Si elle n’aboutit pas, j’assume. Pourtant, nous ne sommes que des « passeurs », nous sommes au service d’une propriété qui traversera le temps. Mon rôle est donc de fédérer une équipe heureuse et humble qui anime, entretient et fait progresser cette belle propriété pour aujourd’hui et pour demain. L’équilibre, toujours l’équilibre !

 


La vendange 2021

 

Gerda : Pourriez-vous me décrire un souvenir de la vendange 2021 ?

Véronique Dausse Il y a eu 2 moments pleins d’émotions.

Le premier a été au moment de la récolte de nos merlots. C’était le premier jour des vendanges. Nous avons accueilli 100 personnes avec un protocole Covid strict (appris des vendanges 2020). Je suis montée sur l’estrade pour faire mon speech de bienvenue et ensuite la 1ère équipe est partie en autobus et la 2ème équipe à pied pour rejoindre une parcelle de merlot à côté du Château. Je suis retournée dans les bureaux pour, comme la tradition le veut, profiter d’un moment de calme, réaliser que « ça y est , c’est parti pour une de plus », partager un café avec mes collègues de « l’administratif » ; quelques dizaines de minutes après, je ressors et cherche les vendangeurs de vue : plus personne dans la parcelle. Ils l’avaient déjà ramassée. Je pars immédiatement à la réception des vendanges : les « gars » étaient dépités, comme moi… Nous avons fait les plus petits rendements de merlots de l’histoire du Château.

Le second moment d’émotion a été avec le maître de chai et le chef de culture, quand nous avons pris la décision d’arrêter les vendanges de nos cabernets sauvignon et d’attendre un peu plus. Nous avons attendu pour obtenir la maturité parfaite et c’était un risque mais il a valu le coup ! Le temps se met au beau, le vent passe au Nord, le vignoble est plutôt sain. Ces Cabernets tardifs feront le cœur de l’assemblage du Grand Vin.


La marque Phélan Ségur aujourd’hui et demain

 

Gerda : Quel(s) positionnement(s) souhaitez-vous pour votre/vos marque(s) ?

Véronique Dausse : Que Phélan Ségur soit bu, qu’il rassure et qu’il fasse du bien. Que nous partagions avec nos consommateurs les mêmes valeurs de goût, de vie, de respect et de partage. C’est une vraie satisfaction de voir Phélan Ségur évoluer parmi les plus grands vins du monde !

: En quoi vos vins se distinguent, et sont uniques ?

VD Phélan Ségur a la chance d’être situé dans une appellation communale qui « bouge » et dont la reconnaissance progresse très significativement. Notre syndicat (ODG) est dynamique, celui-ci apporte un support technique mais également des opportunités de développement de la notoriété des vins de St Estèphe. Ces derniers millésimes montrent le potentiel de l’appellation dans un contexte de climat sec et chaud. Nos célèbres graves argileuses sur nos belles terrasses « fonctionnent » à merveille. Nos vins sont puissants, structurés.

Le Phélan Ségur d’aujourd’hui n’a plus l’austérité qu’il avait dans les années 80 et 90. Nos vins ont beaucoup progressé ces dernières années même si les vieux millésimes nous surprennent et nous émeuvent toujours. Cela a été possible grâce à notre travail à la vigne et au chai dans ce contexte de changement climatique. Nous veillons à la maîtrise de l’équilibre de nos vins naturellement tannique. Ils offrent beaucoup de fraîcheur, de finesse et de précision tout en étant concentrés, riches et puissants. Au travers de ce style affirmé, nous respectons au mieux l’identité des millésimes.

Laquelle de vos réalisations récentes aimeriez-vous faire partager à la clientèle ?

VD : L’arrivée de Philippe Van de Vyvere en tant que propriétaire de Phélan Ségur en Janvier 2018 a ouvert de nouvelles perspectives pour notre domaine de 114 ha dont 70 de vignes. En tant que grand amoureux des vins de Bordeaux, respecter le style de nos vins était une évidence pour lui, ce qui a été un soulagement pour nous. Sa passion pour la nature et les parcs s’est tout de suite concrétisée. Il a souhaité enrichir notre écosystème naturel très riche (nous sommes en bord de Gironde, avons un magnifique parc d’arbres multi centenaires, des prairies en Natura 2000, des forêts, des cours d’eau). En 4 ans, avec l’aide du grand paysagiste Tom Stuart Smith, nous avons planté plus de 500 arbres ! Il a créé un étang au pied du Château qui, au-delà de sa vertu esthétique, permet d’évacuer les eaux de surface arrivant du bassin versant de St-Estèphe. Sa première préoccupation a été la vigne, l’environnement et les hommes en visant l’excellence comme moteur de notre action. Telle est la feuille de route que m’a confiée Philippe Van de Vyvere. Une vigne en parfait état et apte à produire les meilleurs raisins tout en affrontant les années de changement climatique ; un environnement à préserver à défaut de le sauver ; nous travaillons beaucoup sur l’eau qui sera un sujet majeur dans l’avenir proche ; et une équipe heureuse à former, fédérer, «protéger» (à titre d’exemple, nous testons des exo-squelettes pour certaines tâches particulièrement pénibles, travaillons sur la simplification des flux…) !

: Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment ?

VD Nous regorgeons de projets dans tous les secteurs de la propriété ! Sur le plan marketing et commercial, nous sommes en train de développer notre propre outil de CRM (Customer Relationship Management). Aujourd’hui, nous gérons plus de 12 000 contacts qualifiés sur Excel, ce n’est plus possible d’animer efficacement la communication avec nos clients professionnels, particuliers, prescripteurs et autres. L’objectif est de conforter la demande pour Phélan Ségur et ainsi d’aider le négoce tout en simplifiant le travail des personnes concernées. Nous professionnalisons notre communication et nous avons beaucoup à partager !

Une de nos réponses à la limitation des intrants est l’utilisation de levures indigènes. Depuis 2020 nous utilisons les levures indigènes (sélectionnées) de quelques parcelles «à fort tempérament» pour vinifier celles-ci et les résultats sont spectaculaires ! Quand tu dégustes une cuve avec une levure indigène, tu as une vraie sensation aromatique de pureté et de précision en bouche. Bien sûr, nous avons des cuves de comparaison vinifiés avec des levures dites commerciales (LSA). C’est un autre univers, c’est presque perturbant au début. Mais cela contribue à l’identité de nos vins. Bien sûr, nous réduisons les soufres autant que possible mais attention, nos vins ont vocation à vieillir et il faut leur donner le moyen de le faire en les protégeant.

A la vigne, nous développons nos sélections massales, faisons des essais depuis plusieurs années sur l’arrêt du rognage en faveur du tressage (les ponts). L’idée est de renforcer la plante et lui permettre de s’équilibrer le plus naturellement possible.

Nous avons également un grand projet de rénovation du cuvier et des chais, mais je ne peux pas vous en dire davantage mis à part que nous construirons l’extension en continuité des bâtiments existants et dans le même style palladien du 19ème. Ce qui est un vrai parti pris ! Car il est important de rappeler qu’à Phélan Ségur, le vin se fait dans l’enceinte du Château et non dans un bâtiment séparé ! A titre d’exemple, l’équipe du Chai travaille à quelques mètres du Chef à demeure !

 

 

: Où en est(sont) votre(s) propriété(s) en matière de « transition écologique » ?

VD Nous avons la chance d’avoir une biodiversité naturelle sur nos 114 hectares dont 1/3 de la superficie est une réserve sans vignes. Nous bénéficions d’un vignoble en 4 îlots aux spécificités uniques. Environnement de marais, plateaux de graves profondes, croupes pentues d’un « canyon ». Chacun a son propre univers : murets, mini-forêts, cours d’eau et fossés, haies, jachères…  A la fin des années 90, la propriété a arrêté d’utiliser des pesticides, nous ne désherbons plus chimiquement et nous protégeons la vie de nos sols par des couverts végétaux. Nous appliquons les principes de la viticulture bio sur 20 hectares de la propriété (10ha depuis 10 ans et 10 de plus depuis 2021). L’objectif étant de tester notre organisation (et d’évaluer les moyens techniques et humains à mettre en œuvre pour concilier bio et rendement) de suivre le comportement de la plante et de ses fruits.

Nous sommes très vigilant quant à l’utilisation de l’eau (et son recyclage) et réfléchissons à une option de panneaux photovoltaïques sur la nouvelle cuverie.

Même notre Chef à demeure se concentre de plus en plus sur son potager. Les poules (lorsqu’elles ne sont pas mangées par le renard) nous approvisionnent en œufs (et sont devenues les meilleures amies de notre chef d’atelier).

Notre objectif est d’économiser les ressources et de bien faire pour le vignoble. L’équipe est consciente de l’importance de l’enjeu et est très active dans le projet qui concerne chacun. Nous avons même créé un poste de Monsieur Durabilité !

Site Internet et Instagram


Le commerce

 

Gerd: Quelles sont vos priorités en termes de développement commercial ? 

Véronique Dausse De tout mettre en place afin que les jeunes consommateurs de 20 ans goûtent Phélan Ségur ou Frank Phélan : il faut favoriser l’adhésion de la jeune génération. Nous nous concentrons beaucoup sur les prescripteurs et les medias qui les touchent. Nous développons une posture de communication et de réceptif qui tout en véhiculant nos valeurs d’excellence, se veut amicale, ouverte et informative ( gros focus sur les gestes de tradition) Nous ciblons beaucoup les jeunes sommeliers qui sont de bons porte-voix .

Quant aux marchés, il faut dépasser le contexte géopolitique qui se complexifie et peut s’avérer tétanisant. Phélan Ségur a une distribution internationale solide (encore plus solide en Europe) ! Toutefois, j’aimerais davantage développer Phélan Ségur en Chine. Notre vin a une traduction en Chinois incroyable : The Flying Dragon dont la prononciation est proche de celle de Phélan Ségur ! Ce pays est fascinant et a une grande culture gastronomique mais une complexité et un potentiel qui me dépassent un peu. Notre travail sur l’Afrique a déjà bien commencé. L’Inde est toujours hypothétique pour moi, même si les opportunités semblent se préciser.

G : Quels supports d’aide à la vente sont à disposition des distributeurs pour promouvoir vos vins ? 

VD : Le Trade Marketing est une dimension qui est importante. La « route » peut être longue jusqu’au  consommateur. Il faut faciliter le travail des commerciaux, des ADV, de la logistique (nous avons une vraie considération pour le commerce et ses acteurs). Nous développons des argumentaires (KSP) avec les éléments distinctifs de la propriété (l’appartenance à une famille, les terroirs de graves argileuses faisant face à la Gironde, le style des vins en finesse et équilibre…) et des vidéos personnalisées à la demande des clients distributeurs. Nous mettons à la disposition de chacun « la Tool Box » contenant les images, textes, argumentaires nécessaires. Nous créons des étuis ou coffrets spéciaux liés à un événement, notre origine irlandaise… Nous sommes présents sur tous les réseaux sociaux mais mon vrai outil est la Propriété. Notre réceptif est basé sur la personnalisation de l’accueil, la qualité du discours (pas de guide ou « d’hôtesse ») et la gastronomie ; en effet la famille Gardinier ancienne propriétaire a été une des premières à installer un Chef à demeure. Phélan Ségur voyage avec l’Union des Grands Crus mais pas seulement : une grande partie de l’équipe maintenant peut agir sur les marchés mais avec discernement et sens de l’efficacité. Il est même envisagé que je puisse organiser des tournées de promotion de nos vins en collaboration avec notre Chef. « Phélan goes on tour ».

G : A quels millésimes le marché devrait s’intéresser ? et pourquoi ?

VD : Phélan Ségur 2017 : je sais que tout le monde le dit… mais c’est vrai ! Les vins sont «à tomber» (une autre définition du «plaisir immédiat») et il va devenir le vin le moins cher du marché !

G : Prévoyez-vous des sorties commerciales ou mises en marché dans un futur proche ?

VD : Non, je ne fais pas de mises en marché. J’ai un tarif pour le négoce et répond au cas par cas pour l’intérêt de chacun. Nous devons garder du stock à la propriété pour alimenter les marchés de millésimes plus matures…Et pour pallier les aléas de la nature.

 


La bouteille de cœur de Véronique Dausse

 

Gerd: Si vous aviez une seule bouteille de cœur ? 

Véronique Dausse Phélan Ségur 1991 : grâce à notre terroir unique situé au bord de la Gironde, nous n’avons pas été affectés par le gel (le gel de la nuit de 20 au 21 avril, moins 8°C, a détruit plus de 50% du vignoble Bordelais). Peut-être est-ce, pour moi, une façon de conjurer le sort…Ce vin est délicieux. Lorsque je le déguste, je le replace dans le contexte de la propriété mais aussi dans le contexte historique de cette époque. C’est une émotion esthétique forte mais pas seulement … tu ressens, tu savoures, tu réfléchis, tu échanges, c’est un moment qui te nourrit de vie.


Les vins dégustés

 

Frank Phélan 2021 : Créé en 1986, Frank Phélan, le second vin du Château porte le nom du fils de Bernard Phélan, fondateur du domaine. Ce 2021 a un nez agréable et ouvert. Belle attaque avec des tannins présents qui sont mûrs et soyeux. Un vrai Saint-Estèphe à savourer dans sa jeunesse.

Phélan Ségur 2021 : 75% cabernet sauvignon, 4% petit verdot et 21% merlot

Des arômes purs de mûres avec beaucoup de fraîcheur. En bouche, le vin prend immédiatement de l’élan, avec une profondeur verticale, il est savoureux et invite à déguster une deuxième gorgée. Les tannins sont présents sans aucune austérité. Il a plein de finesse sans perdre son vrai caractère de Saint-Estèphe. Le vin est certainement parmi les réussites de cette année !

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.