Inside La Place – La vision nuancée d’un chercheur, enseignant, consultant et amoureux du vin

Axel Marchal

Professeur en Œnologie à l’Université de Bordeaux et Consultant en Œnologie

Rencontré par Gerda


 

J’ai eu des entretiens passionnants avec Stéphane Derenoncourt, Thomas Duclot et Éric Boissenot. Cette fois-ci, j’ai pris mon vélo pour rencontrer une autre étoile montante de Bordeaux, le professeur Axel Marchal. Il est consultant en oenologie depuis 2013 et professeur en oenologie à l’Université de Bordeaux depuis 2020. C’est en 2010 qu’il a passé son Doctorat. Nous nous sommes rencontrés à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin.

Au cœur de la première région productrice de grands vins dans le monde, l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin de l’Université de Bordeaux est un pôle pluridisciplinaire et international de recherche, d’enseignement supérieur et de développement pour relever les défis de l’industrie du vin de demain.

L’Institut regroupe l’ensemble des équipes, de la recherche à la formation, et du transfert de technologie du domaine vitivinicole de multiples partenaires sur le site bordelais (source site ISVV).

En poussant les portes de ce bâtiment de 1 000 m2 inauguré en 2009, j’ai eu une pensée pour le grand Denis Dubourdieu, professeur en Œnologie. C’est lui qui est à l’origine de cet institut qui a, aujourd’hui, une grande réputation dans le monde du vin.

Gerda : Parlez-nous de vous…

Axel Marchal : Je suis d’abord un amoureux de vin. Le vin a largement guidé ma vie et mes choix. J’ai par ailleurs, une soif de comprendre à l’origine de mon goût pour la science.

Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?

Axel Marchal : Le principal défi est la conciliation de mes 3 activités : je suis chercheur, enseignant et consultant. J’apprécie ces trois activités et je ne pourrais me résoudre à n’en choisir qu’une. Elles sont complémentaires, mais elles exigent une gymnastique intellectuelle pour passer de l’une à l’autre.    

G : Comment qualifiez-vous la personnalité que vous vous attachez à donner sur les vins que vous consultez ? Y a-t-il un « style Axel Marchal » ?

Axel Marchal : Je n’espère pas ! Je fais en sorte d’aider les vignerons à obtenir un vin le plus représentatif possible du lieu. J’aime les cépages autochtones, cultivés dans la partie septentrionale de leur zone de maturité. C’est là qu’ils donnent leur expression la plus remarquable et sont les meilleurs révélateurs du terroir. Je suis convaincu que les raisins issus de cycles végétatifs longs confèrent davantage de complexité aux vins.. Dans tous les domaines, la complexité est le meilleur moyen d’éviter l’ennui !

G : Consultez-vous uniquement à Bordeaux ?

Axel Marchal : Non, avec mes associés Valérie Lavigne et Christophe Ollivier, nous consultons aussi des propriétés à l’étranger. Mes associés se déplacent toutefois davantage que moi, car je suis pris par mes fonctions universitaires. Je consulte à Bordeaux (Batailley, D’Yquem, Lafaurie-Peyraguey, Beauséjour héritiers Duffau-Lagarosse par exemple), en Bourgogne, Beaujolais, Provence et en Toscane (notamment à Caiarossa).

Domaine Caiarossa, Toscane, Italie


Le futur 

 

Gerda : Vous êtes consultant depuis plus de 6 ans, quels sont les plus gros changements dans votre métier ?

Axel Marchal : À Bordeaux et dans beaucoup de régions, il y a un important changement de paradigme sur les attentes et le style en général. Aujourd’hui, la préservation de la fraîcheur du vin devient un enjeu capital. Je suis convaincu de cette nécessité mais il ne faut pas tomber dans l’effet de mode. Après une période où Bordeaux récoltait des raisins insuffisamment mûrs, il y a eu une mode plébiscitant les vendanges tardives. Par un effet de balancier, la tendance actuelle est plutôt tournée vers des récoltes précoces, mais il faut garder une vision nuancée. La date de récolte n’est pas le seul paramètre définissant l’identité d’un vin ! Je déplore le discours simplificateur de certains observateurs qui positionnent les vignerons et les consultants dans des cases sur cet unique critère.

G : Comment les vignerons peuvent-ils se protéger contre le changement climatique ?

Axel Marchal Comme a dit Antoine de Saint-Exupéry dans le Petit Prince : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible ». Par définition, on ne peut pas deviner ce qui va se passer, mais on peut faire en sorte de s’y préparer.

Il y a 2 échelles :

À court terme : le choix pratique comme la date de récolte par exemple.

À long terme : le programme de plantation, quelle variété, sur quel sol et avec quel porte-greffe ? Je ne suis pas convaincu du tout par le changement de cépages, mais bien plus par la nécessité d’explorer les différences inter-individuelles au sein d’une variété. Pendant des décennies, on a sélectionné, pour chaque cépage, les plants les plus précoces, produisant beaucoup de sucres, car ils répondaient aux exigences de l’époque. Aujourd’hui, ces exigences ont changé et  il y a une nouvelle voie à prendre, en privilégiant des individus plus tardifs par exemple. Cela me semble plus essentiel que d’introduire de nouveaux cépages. Hélas, ce n’est pas la direction privilégiée par certaines instances, qui semblent davantage accorder une prime à la recherche de l’exotisme…

G : Quels sont les cépages du futur ?

Axel Marchal : Le cabernet sauvignon et le cabernet franc. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a des terroirs sur lesquels le merlot s’exprime très bien. 

G : Les Francs de pied – effet de mode ou réel intérêt ?

Axel Marchal : Pour moi, c’est une interrogation rhétorique. Évidemment, tout amateur est curieux de savoir quel était le goût du raisin et du vin lorsque la vigne n’était pas greffée et plantée directement sur le sol pré-phylloxéra. Hélas, le phylloxéra est arrivé et est toujours là. Je comprends la curiosité de ceux qui s’y intéressent mais j’ai peur qu’ils se heurtent à la réalité phytosanitaire.

G : Que pensez-vous de la tendance et de l’avenir du vin en biodynamie ?

Axel Marchal Je pense que le fait de davantage respecter l’environnement constitue, dans la conscience du consommateur, un élément important de la valeur du vin.

L’agriculture biologique s’inscrit dans la dynamique du respect, j’y suis donc favorable. Je ne suis pas dogmatique et ce n’est pas pour autant la seule voie. En ce qui concerne la biodynamie, c’est plus complexe car c’est aussi un mode de pensée, avec ses défenseurs et ses détracteurs. La science est souvent prise à partie dans ce débat. Or, la science, c’est avant tout de l’observation, puis de l’interprétation. Si quelque chose fonctionne bien, même si on n’en comprend pas totalement les raisons, pourquoi pas. En revanche, je suis plus réfractaire aux théories farfelues s’appuyant sur des raisonnements pseudo-scientifiques.

Château Lafaurie-Peyraguey, Bordeaux, France


Le vin

 

Gerda : Que pensez-vous de la notation des vins ?

Axel Marchal : C’est le reflet d’une époque qui n’aime pas la nuance. Je pense que la note ne peut pas refléter la subtilité d’un vin mais qu’elle est rendue nécessaire par un goût trop prononcé pour la simplicité. A vrai dire, je préfère les commentaires aux notes, même s’ils sont, hélas, trop peu lus. Le négoce de Bordeaux est à mon sens en partie responsable, il a trop communiqué sur la note plutôt que de parler du goût, ce qui lui a fait perdre de son rôle de prescripteur.

: Concernant 2018, 2019, 2020, Que pensez-vous de ces 3 grands millésimes de Bordeaux ?

Axel Marchal On est chanceux d’avoir eu ces 3 millésimes.

2018 est extraordinaire au sens littéraire, parfois excessif mais j’aime la densité des meilleurs vins de ce millésime.

2019 est plus séducteur, avec un équilibre immédiat. Il plaît immédiatement mais j’avoue que j’ai une faiblesse pour les grands 2020. Il est encore très tôt pour évaluer leur potentiel mais je crois beaucoup à la profondeur de leur saveur.

C’est sûr, ces 3 millésimes sont remarquables.

G : Quel regard portez-vous sur le millésime 2021 ?

Axel Marchal J’ai un regard tendre pour ce millésime. C’est un millésime qui a été difficile au niveau viticole. Comme pour toutes les choses qui sont difficiles, on a tendance à être réticent. L’image qui a été envoyée par Bordeaux a été moins bonne que la réalité. Rares sont pourtant les millésimes pour lesquels Bordeaux a eu un regard plus dure que celui des observateurs extérieurs. Malgré tout, il ne faut pas se mentir 2021 est variable et hétérogène. Il y a des vins faibles mais d’autres qui sont remarquables, avec un profil équilibré tout à fait capable de séduire les amateurs de Bordeaux classiques. C’est un rappel du passé, un souvenir ravivé de Bordeaux et j’aime beaucoup ce style, ce qui explique mon regard tendre !

G : Quel type de vin aimez-vous ?

Axel Marchal J’aime les grands vins blancs comme rouges. Je suis très amateur de vins de Bordeaux et fasciné par les grands vins de Bourgogne, malgré les prix qui deviennent de plus en plus fous. J’adore le riesling Alsacien ou Allemand. J’aime beaucoup les vins septentrionaux : le chenin à Vouvray, la syrah dans le nord de la vallée du Rhône. Je dois avouer que j’ai une faiblesse pour les grands liquoreux qui sont à mon sens un concentré de l’humanité viticole. C’est triste car ces vins sont difficiles à produire et difficiles à vendre. Ces efforts ne sont pas récompensés commercialement.

G : Pourriez-vous me décrire un vin exceptionnel ?

Axel MarchalIl doit avoir un parfum envoutant. On connait l’importance de l’olfaction dans l’émotion. Il y a des vins qui sont pour moi comme La Madelaine de Proust, en les sentant je suis immédiatement transporté dans des souvenirs, des moments heureux. Ensuite, il y a des goûts, des saveurs : j’aime les vins savoureux. Les grands vins ont une texture unique au milieu de la bouche qui donne une impression d’intégration parfaite : l’harmonie et l’équilibre. Finalement, cela doit être un vin fascinant et marquant, inspirant même, puisqu’il nous incite à déguster encore et encore pour revivre l’émotion ressentie, voire à la transcender.

Mais, au-delà du plaisir de la dégustation, un grand vin c’est une expérience globale, une longue chaîne de moments heureux, de l’acquisition de la bouteille à sa consommation avec des amis.

G : Vos millésimes mémorables à Bordeaux et pourquoi ?

Axel Marchal Il est très difficile de hiérarchiser les millésimes car cela impliquerait d’avoir une perception globale alors que celle-ci doit davantage se situer au niveau des crus. Je vais donc plutôt parler de millésimes qui m’ont été particuliers au niveau personnel.

2005, mon premier millésime dégusté en Primeur, juste avant mon installation à Bordeaux.

2010, l’année de mon doctorat. Mais aussi une grande frustration car la rédaction de ma thèse m’a empêché de suivre les vendanges !

2016, dont j’aurais aimé que Denis Dubourdieu, malheureusement décédé en juillet de cette année-là, puisse constater la grandeur de ce millésime. Cela l’aurait réjoui.

 

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.