Inside La Place – Un message dans une bouteille

Colin Hay

Correspondant pour « The Drinks Business »

Rencontré par Gerda


 

Colin Hay est le correspondant de The Drinks Business à Bordeaux et professeur de sciences politiques à Sciences Po Paris, où il travaille sur l’économie politique de l’Europe, la Place de Bordeaux et les marchés du vin en général. Il est un admirateur particulier des vins de Bordeaux, de Bourgogne, de la vallée du Rhône, du Piémont et de la Toscane.

Gerda : Parlez nous de vous…

Colin Hay : Je suis un chercheur en sciences sociales, professeur à Sciences Po Paris et rédacteur sur le vin pour The Drink Business. Je suis une personne aimable et généreuse et j’espère que cela se reflète dans mes écrits. Je ne me considère pas comme une critique ; je suis plutôt un commentateur et un correspondant. Ma tâche consiste à comprendre et à partager cette compréhension avec mes lecteurs. Pour cela, il faut une certaine humilité et le désir d’écouter, et pas seulement des convictions fortes et le courage qui les accompagne. Je suis également un universitaire, et cela influence sans aucun doute mon approche. Les vins et les personnes qui les ont produits sont ma source d’information. J’essaie de parler aux propriétaires, aux vignerons et aux consultants autant que possible afin de mieux comprendre leurs vins. J’espère qu’ils peuvent reconnaître les vins qu’ils ont produits dans les descriptions que je fais; j’aurais échoué dans ma tâche si ce n’était pas le cas. Il s’agit certainement d’un autre type de relations avec le producteur que celle du critique de vin traditionnel. Par exemple, les dégustations à l’aveugle ne m’intéressent pas beaucoup (en tout cas pour les vins jeunes, comme les échantillons en primeur) car elles réduisent les informations dont on dispose pour donner un sens à un vin. La dégustation de vins jeunes est un défi et il faut disposer de toutes les informations possibles pour se faire une idée précise de leur évolution probable et de leur qualité sous-jacente.

Gerda : Vous êtes aussi professeur à Sciences Po Paris, avez-vous choisi de devenir un écrivain dans le milieu du vin ?

Colin Hay : Je suis venu vivre en France en 2012, mais mes premiers articles pour Decanter datent de bien avant, en 2006/2007. Ils étaient plutôt académiques. Ils portaient sur le rôle des systèmes de classification et des critiques de vin, tels que Parker, dans la formation des prix et de leurs trajectoires. Ils remettaient en question certaines des orthodoxies conventionnelles de l’époque, notamment en ce qui concerne l’influence de Parker. Mais surtout, elles ont donné lieu à des conversations avec des châteaux, des négociants et des courtiers, ainsi qu’avec le commerce londonien. Et cela, à son tour, a conduit à des invitations, notamment à mes premières dégustations en primeur à Bordeaux et dans les environs en 2013. 2013 était, bien sûr, un millésime très difficile, mais qui m’a permis d’apprendre beaucoup de choses sur les vins en primeur et sur les choix faits par les différents châteaux. C’est cette même approche que j’ai adopté pour mes dégustations de 2021. Quels étaient les défis ? Quels ont été les choix faits en réponse à ces défis ? Et finalement, qu’est-ce qui a marché et qu’est-ce qui n’a pas marché ?

Gerda : Pourquoi avez-vous une passion pour Bordeaux ?

Colin Hay : Comme beaucoup des meilleures choses de la vie, il y avait une part de hasard. En tant qu’étudiant à Cambridge, je n’avais pas beaucoup à dépenser pour une bouteille de vin. J’ai rapidement appris que je pouvais investir mes 5 £ à bon ou mauvais escient, mais que j’avais plus de chances de les avoir bien investies si j’achetais du Bordeaux. De plus, j’en apprenais sur les vins de Bordeaux, meilleur était le retour sur investissement ! Je me suis enthousiasmé et j’ai même commencé à acheter des vins en primeur, m’intéressant de plus en plus à leur fonctionnement et, bien que lentement au début, à leur connaissance. Le reste, comme on dit, appartient à l’histoire.

 


Le métier

 

Gerda : Comment décririez-vous le rôle d’un correspondant en vins ? 

Colin Hay : J’ai le privilège de déguster des vins fabuleux, de visiter les domaines que les amateurs de vin choisiraient de visiter s’ils en avaient l’occasion, et l’opportunité de parler aux personnes dont le travail consiste à produire certains des meilleurs vins du monde. Je m’efforce d’utiliser cette opportunité du mieux que je peux, d’en tirer des enseignements et d’en faire part à mes lecteurs par le biais des articles que j’écris.

G: Êtes-vous capable de donner une note objective aux vins?

Colin Hay: Non, mais je ne suis pas le seul à le faire ! Avant tout, je cherche à décrire le vin que je déguste dans mes notes de dégustation : une personne qui envisage d’acheter ce vin doit pouvoir s’informer à travers ma note de dégustation. Mes préférences, bien qu’importantes, viennent en second lieu et doivent être clairement signalées au lecteur en tant que préférences. En effet, je dois pouvoir dire : « Bien que ce vin ne soit pas ma tasse de thé, si vous aimez les vins comme celui-ci (et voici ma description), il pourrait bien vous convenir ».

Donc, non, je ne suis pas en mesure de donner une note objective au vin et, surtout, je ne cherche pas à le faire ou à le prétendre. C’est en partie parce que je crois que toutes les questions de goût sont nécessairement subjectives ; il n’y a pas d’objectivité dans les questions de goût. Il peut y avoir (et il y a souvent) des conventions puissantes (que ceci est bon et que cela est mauvais), mais elles restent des conventions, et en tant que telles, subjectives.

Deuxièmement, je ne suis pas un dégustateur formé et certifié et je suis certain que je goûte d’une manière différente de ceux qui le sont. Les dégustateurs formés goûtent de manière légale, en disséquant généralement un vin et ses composants (acidité, alcool, etc.). Je goûte principalement par association. Dans ma tête, la conversation se déroule comme suit : « hmm, j’ai l’impression que ce vin vient de Pauillac, probablement d’une rivière proche, car il me rappelle quelque chose que j’ai découvert à Château X, et il pourrait bien venir de Pauillac car il y a clairement beaucoup de Cabernet, etc. »

Le critique au palais plus exercé est bien mieux placé que moi pour identifier le vin sur la base de ses attributs physiques (le niveau d’acidité, le niveau d’alcool, la densité tannique). Un tel dégustateur pourrait bien être plus à même que moi de deviner ce qu’est le vin (bien que la dégustation par association fonctionne étonnamment bien aussi). Mais, aussi impressionnant que cela puisse être, de pouvoir évaluer avec précision le niveau d’acidité ou la proportion de Cabernet Sauvignon dans un vin, cela ne nous aide pas à déterminer si le vin est bon ou non. Cela restera toujours un jugement subjectif, même lorsque nous sommes tous d’accord.

Dans quelle mesure la critique du vin doit-elle être critique ?

Colin Hay Les critiques ont besoin d’être critiques ; et elles ont besoin d’une certaine distance par rapport à l’objet de la critique afin d’être critiques. Comme je l’ai déjà dit, je suis autant un commentateur qu’un critique et je pense que la plupart des lecteurs sont davantage intéressés par mon commentaire que par ma critique. Je veux comprendre plus que je ne veux critiquer. Ainsi, même lorsque je trouve un vin problématique, je veux comprendre pourquoi je le trouve problématique plutôt que d’identifier et de contester les défauts du vigneron.

En effet, cette question est particulièrement intéressante dans le contexte du millésime 2021 de Bordeaux. De mon point de vue, dans une situation d’adversité météorologique extraordinaire, les viticulteurs et les vignerons de Bordeaux ont fait un travail spectaculaire ; et nous devons le dire. Ils ont vraiment fait un excellent travail ! Ma compréhension des difficultés auxquelles ils ont été confrontés m’amène à faire preuve d’empathie à leur égard ; elle ne m’incline pas à les critiquer, même (et peut-être surtout) lorsque le vin n’est pas fabuleux en termes comparatifs.

J’ai toujours la responsabilité d’évaluer, aussi honnêtement que possible, la qualité du vin. S’il n’est pas excellent, je dois le dire. Ce qui m’irrite le plus ce sont ces critiques (et il y en a un certain nombre en 2021) qui donnent des notes très basses à des vins qu’ils notent généralement plus haut, sans aucune indication de ce qui leur pose problème. Le commentaire indique « 92 », la note indique « 88 ». Pour moi, cela dénote un certain manque de respect que je trouve troublant.

J’ai la responsabilité envers le consommateur de dire si je trouve le vin bon ou mauvais. J’ai aussi la responsabilité envers le producteur, ainsi qu’envers le consommateur, d’expliquer ce jugement. Si le consommateur potentiel accepte mon jugement selon lequel le vin est mauvais, il peut néanmoins éprouver de la compassion pour le producteur dont les meilleures parcelles ont été ravagées par le gel, la grêle et/ou le mildiou.

G : Êtes-vous différent des autres critiques de vin ?

Colin Hay Oui, à au moins trois égards :

Comme j’ai déjà essayé de l’expliquer, je ne cherche pas à atteindre le Saint Graal de l’objectivité, tout simplement parce que je ne pense pas qu’il existe. Je suis heureux d’accepter, et même de partager mes réactions émotionnelles face au vin, notamment parce que je suis heureux d’accepter que le jugement ultime sur la qualité d’un vin est, et ne pourra jamais être, que subjectif. Cela influe sur la façon dont on aborde la dégustation. Les critiques qui recherchent la neutralité et l’objectivité ont tendance à être beaucoup plus éloignés des propriétés elles-mêmes. Ces critiques se fient davantage à leur propre palais. Je comprends et je respecte cela. Ce n’est pas ma façon d’opérer, car je n’ai pas la même confiance dans mon propre palais qu’eux dans le leur ! En tant qu’universitaire, je suis aussi tout simplement moins satisfait de l’idée que la qualité d’un vin puisse être évaluée de manière objective. Le reste en découle. Je peux et je dois être plus proche du domaine car c’est ma principale source d’information.

Ce flux d’informations va d’ailleurs dans les deux sens. Pendant la période Covid, j’ai eu de longues conversations sur Zoom avec de nombreux producteurs de Bordeaux qui avaient eu la gentillesse de m’envoyer des échantillons en primeur. Ces conversations ne portaient pas seulement sur leurs propres vins, mais aussi sur ceux de leurs pairs et de leurs voisins, que, dans la plupart des cas, ils n’avaient pas goûtés. J’ai beaucoup appris de ces conversations, mais eux aussi. Ils voulaient savoir ce qu’était le millésime à travers les yeux et le palais de quelqu’un qu’ils semblaient respecter et qui avait goûté plus largement qu’eux. Je me suis senti privilégié d’être dans cette situation et privilégié de participer à ces conversations.

Je ne gagne pas ma vie en tant que correspondant en vins. J’ai un emploi de jour en tant que professeur à Sciences Po à Paris. Cela change indubitablement les choses et les rend probablement plus faciles. Surtout, cela me permet d’être plus indépendant et peut-être aussi d’être perçu comme tel. J’ai le privilège, en un sens, de ne pas être financièrement dépendant de tout cela.

En résumé, je ne suis pas un critique au sens classique du terme, mais je ne suis pas non plus un critique des critiques. Nous faisons simplement les choses différemment !


Le produit

 

Gerda : Que pensez-vous des vins biodynamiques ?

Colin Hay D’une manière générale, je suis un fan ! Les vins biodynamiques sont invariablement des vins produits par des vignerons qui veulent faire le bon choix, tant pour l’environnement que pour le terroir que leur vinification cherche à exprimer. C’est déjà un bon début. Il n’est pas difficile d’admirer ce qu’ils cherchent à réaliser. Ils sont passionnés et je partage cette passion. D’ailleurs, d’après mon expérience, ils ont tendance à réussir. Les vins biodynamiques, surtout aujourd’hui, ont tendance à être excellents. Ils sont, par exemple, très bons dans le millésime 2021. Qu’il s’agisse de Durfort Vivens, Ferrière, Croix de Labrie ou Fonplégade, ces vins sont vifs et énergiques, avec un fruit invariablement plus brillant, plus éclatant et plus vibrant.

Cela dit, la biodynamie renforce et accentue un certain style, un style que j’aime mais que d’autres peuvent moins apprécier. Ainsi, pour moi, la biodynamie est une très bonne chose, mais si la finesse, la pureté et la linéarité ne sont pas ce que vous recherchez, votre point de vue pourrait être différent.

G : Pouvez-vous me décrire ce qui rend un vin exceptionnel ?

Colin Hay : Un vin exceptionnel doit avoir le goût de son terroir. Mais il ne doit pas seulement nous parler du lieu, il doit aussi nous révéler quelque chose sur la philosophie du vigneron. C’est un vin qui m’excite et qui génère invariablement une réponse émotionnelle. En effet, je sais généralement que je suis en présence d’un vin proche de la perfection lorsque ma réaction émotionnelle se traduit par une réaction physique : la chair de poule, voire une larme au coin de l’œil. Oui, cela arrive, et je me souviens encore de chacune des fois où cela s’est produit. La plus récente était pendant cette campagne en primeur, le vin Château de Fargues !

Comment décririez-vous vos goûts personnels ?

Colin Hay C’est une question délicate… Je pense que mes goûts sont européens et français, peut-être de plus en plus. Dans le passé, on l’aurait probablement décrit comme britannique également. Je me demande aujourd’hui s’il n’y a pas, en fait, une certaine divergence entre les palais français et britanniques. Ce n’est certainement pas un effet du Brexit (!), mais il me semble qu’il y a une plus grande influence résiduelle du goût de Parker sur le palais anglophone (même britannique). On le voit un peu dans les notes assez différentes des critiques britanniques et d’Europe continentale du millésime 2021. Ces vins, semble-t-il, manquent d’une certaine puissance pour le palais britannique contemporain (encore plus, bien sûr, pour son homologue nord-américain).

D’après mon expérience, les palais d’Europe continentale et, surtout, de France, sont plus heureux d’accepter comme excellents les vins qui présentent de la finesse, de l’élégance et, surtout, moins de puissance et d’extraction. Autrement dit, des vins davantage axés sur le terroir. Cela correspond très étroitement à la direction stylistique prise par Bordeaux depuis 2015 environ. Le millésime 2021 renforce cette tendance. Je goûte le terroir. Les vins de Margaux, par exemple, sont plus Margalais que jamais, j’adore cela.

G : Pouvez-vous nous parler d’une dégustation inoubliable ?

Colin Hay : J’ai eu la chance d’avoir de nombreuses dégustations mémorables. Il est difficile d’en distinguer une en particulier. Si je devais le faire, je choisirais probablement une récente verticale avec Bérénice Lurton de Climens remontant jusqu’aux années 1970. Je ne le fais pas seulement parce que les vins étaient brillants, d’une cohérence phénoménale et d’une évolution incroyablement glaciale (ils évoluent, semble-t-il, en bouteille presque aussi lentement qu’Yquem lui-même). Je le choisis aussi par empathie pour une propriété que j’aime et qui a beaucoup souffert au cours des derniers millésimes, surtout à cause des terribles dégâts causés par le gel (il n’y a, hélas, pas de 2021). Il y a eu, cependant, beaucoup d’autres moments forts, une spectaculaire verticale de 25 ans de La Conseillante, de merveilleuses dégustations verticales de Haut Bailly, Brane Cantenac, Beychevelle, La Lagune et Hermitage La Chapelle et, plus récemment, de Fargues. Une fois de plus, je me sens très privilégié.

: Travaillez-vous sur quelque chose de précis en ce moment ?

Colin Hay Je viens de terminer environ 150 pages d’analyses et de notes de dégustation sur le millésime 2021. Je retourne donc à d’autres petits projets : une petite série d’articles sur les vins monocépages de Bordeaux (il y en a beaucoup); une série similaire sur la « climatisation » de la rive gauche et de la rive droite qui cherche à mettre en valeur certaines micro-cuvées moins connues ; ainsi que des articles sur les nouvelles sorties hors Bordeaux sur la place, et la rédaction de dégustations verticales récentes à La Lagune, Hermitage La Chapelle et de Fargues. Je suis également en train de refaire la dégustation des 2018. Bien sûr, il y a aussi le classement de Saint Emilion. Il y a constamment quelque chose à écrire à ce sujet, d’autant plus que je crois fermement au principe du classement compétitif.

: Quels sont les nouveaux outils publicitaires dans votre métier ?

Colin Hay Très honnêtement, je ne suis pas très doué pour les médias sociaux. Je me sens beaucoup plus à l’aise avec des conversations comme celle-ci (en face à face autour d’une tasse de café). Je n’ai pas mon propre site web parce que je ne saurais tout simplement pas comment le gérer et je pense que cela deviendrait dévorant. Je suis très à l’aise avec ce que je fais pour The Drinks Business, surtout parce qu’ils semblent apprécier mon indépendance. Ils m’encouragent à écrire ce dont j’ai envie. Surtout, tous mes écrits sont librement accessibles à tous ceux qui veulent les lire en ligne.

: Pourriez-vous me donner quelques mots pour décrire le millésime 2021 ?

Colin Hay : Il est, pour moi, l’expression d’un nouveau classicisme à Bordeaux. Nouveau, parce que des vins de cette qualité n’auraient tout simplement pas pu être produits dans un millésime aussi difficile par le passé. Mais aussi « classique », dans leur goût. Ce sont des vins qui ont le goût de leur terroir. Ils sont purs, précis et aromatiquement expressifs, avec une fraîcheur naturelle et sapide. Comme les vignerons eux-mêmes, semble-t-il, j’aime particulièrement que mon fruit soit croquant ; c’est ce que l’on retrouve, surtout, dans le fabuleux Cabernet d’été frais de ce millésime. Je crains que, compte tenu de l’accélération du changement climatique, ce sentiment très naturel de fraîcheur enfermée soit très difficile à trouver, peut-être même un lointain souvenir, dans 20 ans. Nous devons le savourer tant que nous le pouvons !

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.