Inside La Place – Etre digne du terroir

 Eric Boissenot

Consultant oenologue

Rencontré par Gerda


 

Eric Boissenot a débuté dans la vinification avec son père Jacques à l’âge de 14 ans, le laboratoire Oenologique Boissenot a été créé en 1972.

Gerda : Parlez-nous de vous…

Eric Boissenot Passionné et très persévérant, quand je décide de faire quelque chose, je vais jusqu’au bout même si cela peut prendre du temps, je suis patient. J’ai de nombreux projets en tête, pour les réaliser, cela peut prendre 20 ans, mais je ne perds pas l’idée. Malheureusement, la vie est trop courte, pour certains projets je serai mort avant.

Contemplateur, j’aime beaucoup regarder et admirer les choses. J’aime acheter des livres, je n’ai pas le temps de tous les lire immédiatement mais j’apprécie de les contempler et je les  lirai un jour…

Je ne jette rien, je garde tout, j’aime être entouré de mes affaires, mais de façon ordonnée.

Gerda : Que sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement dans le pratique de votre métier ?

Eric Boissenot Plusieurs :

  • Etre digne du terroir que l’on travaille : c’est très important de ne pas faire à moitié, de toujours être à la hauteur….
  • Permettre la reconnaissance des terroirs : notre travail doit révéler les terroirs, leurs qualités intrinsèques, je suis juste un intermédiaire. Cette identité propre procure de la joie aux équipes, de l’appropriation.

Je considère que chaque cru a son caractère propre et toutes actions sur le raisin ou sur le vin doivent être respectueuses. La complexité globale de la matière, est plus directement liée à la qualité du terroir, elle explique la hiérarchie des crus. Que la matière soit riche ou moins riche le plaisir à la dégustation peut-être tout aussi grand si l’on abouti grâce à l’assemblage à sa plus belle expression.

Gerda : Comment qualifiez-vous la personnalité que vous vous attachez à donner sur les vins que vous consultez ? Y a-t-il un « style Eric Boissenot » ?

EB Oui et non, ce n’est pas l’idée de faire un style. Le style c’est le cru, le lieu donne l’énergie. Mon rôle est de le mettre en valeur en lui donnant un style. Par le choix il y a forcément un style, il faut cultiver sa différence.

Le moteur est l’harmonie et l’équilibre. Il faut faire avec les armes du lieu à savoir le terroir et tout ce qu’il a à notre disposition. Concernant la manière de vinifier : pas de forte extraction, ni de sur-maturité et surtout pas de standardisation. Mon rôle est de libérer l’expression du terroir. Pendant les vinifications, je déguste jusqu’à 10 heures par jour, de la récolte jusqu’à l’assemblage : « C’est la partie la plus créative et intéressante ».

Gerda : Consultez-vous uniquement à Bordeaux ?

EB Nous conseillons aujourd’hui 180 propriétés dont de nombreux crus en Médoc : Lafite Rothschild, Latour, Margaux, Mouton Rothschild, Léoville Las Cases, Léoville Barton, Ducru Beaucaillou, Grand-Puy-Lacoste, Branaire Ducru, Rauzan Ségla, Sigalas Rabaud …  Mais aussi des crus à l’étranger : aux USA, Chili, Espagne, Portugal, Italie, Grèce, Chine et Liban. La problématique est toujours la même, avec comme finalité : « Trouver le chemin ».

 

 

Château Margaux (gauche) et Château Grand-Puy-Lacoste (droite)


Le Futur

 

Gerda : Vous êtes consultant depuis 32 ans, quels sont les plus gros changements dans votre métier?

Eric Boissenot La liberté, être libéré de la critique : « Fait ce que tu penses et c’est bien…  concentre toi sur cela ! ». Pour moi, les progrès techniques ne relèvent pas de la même importance, ce ne sont pas eux qui nous permettent de faire de plus grands vins, je suis certain. Avant tout, c’est prendre de bonnes décisions au bon moment et de vinifier sans erreurs, l’être humain est primordial et ce n’est pas la question d’avoir des cuves plus petites, des foudres, des amphores, ou je ne sais quoi d’autre. La technique ne change pas le fond du problème. La problématique principale est de savoir ce que je veux vraiment et si je le comprends, ensuite, il suffit d’y aller ! Nous sommes plus forts quand nous savons ce que nous voulons, même si nous nous trompons !

Je suis persuadé que les gens qui veulent trouver une solution dans la technique, n’y arriveront pas, les questions doivent être posées avant !

G : Comment les vignerons peuvent-ils se protéger contre le changement climatique ?

EB Oui, le changement climatique nous affecte et peut même nous aider, mais cela ne doit pas aller plus loin qu’en 2009.

Les armes actuelles sont peu nombreuses, nous subissons. L’irrigation n’est pas autorisée, le bâchage non plus, il faut sûrement moins effeuiller, favoriser l’enherbement, et l’agroforesterie, c’est long de modifier un écosystème mais il va falloir le faire.

: Quels sont les cépages du futur ?

EB Nos cépages ont certainement encore un beau futur devant eux. Le cabernet sauvignon est planté dans des pays plus chaud que le nôtre où il donne également des beaux résultats.

G : Les Francs de pied – effet de mode ou réel intérêt ?

EB : Le risque est toujours actuel de perdre des pieds à cause du phylloxéra mais nous sommes à une époque où tout peut être essayé.

G : Que pensez-vous de la tendance et de l’avenir du vin en biodynamie ?

EB Une alternative qui n’est pas totalement solide… Il faut aller dans cette direction en attendant de faire autre chose, mais faire du bio tout court n’est pas satisfaisant : c’est plus de tracteurs, plus de passages dans les vignes, plus de tassement des terrains. De nombreuses autres problématiques en découlent.


Le vin

 

Gerda : Que pensez-vous de la notation des vins ?

Eric Boissenot : Comme avec le loup : on en a peur, mais on veut le voir ! C’est très humain. On veut une récompense, on veut être classé par rapport aux autres. Ce n’est pas une bonne chose car ça enchaîne, ça empêche d’être créatif… c’est dommage. Il faut se libérer de ça et aller dans le sens de sa conviction.

: Concernant 2018, 2019, 2020, Que pensez-vous de ces 3 grands millésimes de Bordeaux ?

EB : Trilogie incroyable, du jamais-vu. Qu’est-ce que ça donne le changement climatique ! Cela reste Bordeaux en typicité : « nous roulons sur du velours ». Je n’ai pas de préférence entre les 3, parce que j’aime bien détecter les identités, les millésimes et les ouvrir selon les besoins, et selon votre humeur… Il faudrait vivre plus longtemps pour voir ce qu’ils vont devenir, pensez aux 1928, 1929.

G : Quel regard portez-vous sur le millésime 2021 ?

EB : Ce millésime nous replace dans nos baskets, il remet les pendules à l’heure, il exprime le terroir de façon révélatrice.

Ce que j’aime : il est soyeux dans les tannins, il est long en bouche, il est suave, il contient un fruit légèrement acide donnant du goût, mais avec un tannin mûr : juteux et très agréable et il a moins d’alcool. C’est un millésime qui aime les Grands Vins, il est tout en subtilité, avec une visibilité sans immédiateté.

G : Pourriez-vous me décrire un vin exceptionnel ?

EB : C’est compliqué de donner des mots à une sensation qui est unique : les vins sont uniques, pas les mots, un vin exceptionnel est une sensation par des mots. C’est dans ma tête, parfois nous pouvons utiliser un même mot sur des sensations différentes. Coller à ces mots une sensation n’est pas simple, mais la sensation d’un vin exceptionnel reste dans la mémoire, alors j’attache toujours une image à cette sensation. Souvent, pour se mémoriser un grand vin on utilise le moment de la dégustation.

G : Vos millésimes mémorables à Bordeaux et pourquoi ?

EB : 

  1. Lafite 1959 : incroyable, une réussite extraordinaire.
  2. Poujeaux 1928 : fantastique, comme s’il avait 30 ans.
  3. Cos 1870 : étonnant de  jeunesse. Incroyable.

Ce sont des vins qui m’ont marqués.

 

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.