Inside La Place – Un homme entier qui relève les nuances

Un homme entier qui relève les nuances

Thomas Duclos

Consultant Oenologue

Rencontré par Gerda


 

Le jeudi précédent la semaine des Primeurs j’ai reçu au bureau le dynamique Thomas Duclos. Un homme entier qui adore 2021, dont les maîtres-mots pour définir ce millésimes sont l’humilité et le classisme contemporain… Et il a raison ! Ces trois mots : classicisme, contemporain et humilité illustrent parfaitement le 2021 en ce XXIè siècle.

Gerda : Parlez-nous de vous…

Thomas Duclos : Je suis assez « cash », travailleur et très attentif aux relations humaines dans le travail. Cette vision large dans mon travail est très importante car il ne faut pas se focaliser seulement sur le vin mais aussi sur les équipes des Châteaux. Il faut sentir leurs attentes. Mon métier est de rendre tout le monde meilleur, moi inclut (en souriant).

Gerda : Que sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement dans le pratique de votre métier ?

Thomas Duclos : Arriver à gérer les attentes de tout le monde avec mes problématiques personnelles. Etre présent est très importante et j’ai un sentiment de frustration si je ne suis pas à 100% de mes capacités. Les belles choses ne peuvent pas être parfaites et c’est ce qui fait aussi l’identité unique de nos vins. Les notions importantes sont l’équilibre et l’harmonie. Il ne faut pas oublier que la petite note végétale et boisée amènent de la complexité. 

Gerda : Quelles sont vos premières impressions du millésime 2021 à Bordeaux ?

Thomas Duclos C’est un millésime que j’aime beaucoup. C’est un millésime qui est dans l’équilibre. C’est très important, il amène Bordeaux à son essentiel. Les Grands Terroirs sont les terroirs historiques où il y a toujours eu de la vigne. Ce sont ces terroirs qui ont produit de beaux voire de grands vins.

Ce millésime ramène Bordeaux à son ADN. La dernière trilogie (2018, 2019 et 2020) sera marquée dans l’histoire mais on la regarde avec les yeux des millésimes solaires, non à la Bordelaise. Le 2021 est meilleur dans ce style. Il nous amène vers des vrais Bordeaux. S’il y a des choses difficiles dans ce millésime c’est aussi à cause de la vinification, et pas à cause du millésime. Le vinificateur et le vigneron devraient accepter la typicité de 2021 et la valoriser. Il ne faut pas casser le millésime, le masquer, aller trop loin en extraction et ne pas rajouter de bois !

On regarde ce millésime avec nos yeux contemporains mais 90% des personnes parmi nous n’ont pas connu le Bordeaux des années 1980 et 1990. C’est un problème de référence et de culture. Aujourd’hui, l’information sur les millésimes circulent très vite avec les réseaux sociaux. Les mêmes personnes qui les pilotent n’ont cependant pas connus l’ancien Bordeaux des années 80. Aujourd’hui, le millésime 2021 est dégradé avec les réseaux alors que je pense qu’il est un futur grand millésime pour nombre de crus !

Il y a autant de millésime 2021 qu’il y a de propriété à Bordeaux. Il y a eu tellement d’itinéraires différents, qu’il y a une disparité qualitative du millésime. Sur les 15 dernières années il y a eu très peu de millésimes éclatés comme celui-ci.

C’est un millésime que j’adore car il est nuancé. Je me bats tous les jours pour la nuance. La nuance et la mesure font l’intérêt de la vie. On n’est jamais plus proche de la réalité que lorsque l’on est nuancé.

C’est pour cela que j’essaie de beaucoup communiquer avec des images car cela permet d’être dans un mode de réflexion différent. Cela permet de nuancer. Chacun se fait sa propre idée. Le vin est tout sauf une vérité !

C’est un millésime de l’humilité car on a beaucoup travaillé pour quelques fois ne pas arriver à grand-chose. Il est aussi culturel car tout le monde ne va pas être capable de l’apprécier, c’est un millésime européen. J’aime parler de millésime contemporain par les justes choix et interprétations qui devaient être fait.

Laboratoire oenoteam

 


Le style Thomas Duclos

 

Gerda : Comment décrire le style-personnalité que vous vous attachez à donner sur les vins que vous consultez ? Y a-t-il un « style Duclos » ?

Thomas Duclos : Je n’espère pas ! Ce qui revient c’est que ce sont des vins qui sont précis. Plutôt dans la notion d’équilibre et d’élégance. Mon job est de révéler un lieu et de ne pas marquer les choses. Chaque vin doit avoir sa personnalité. 

G : Vous consultez les Châteaux sur la rive droite (Troplong, Canon) et sur la rive gauche (Giscours). Est-ce que la problématique est différente ?

TD Je suis médocain et je travaille exactement de la même façon pour tous les Châteaux. Je passe beaucoup de temps avec mes clients. 

Il y a des inconvénients car je ne peux pas avoir beaucoup de clients. Je suis très impliqué. Je ne vais pas dans les propriétés uniquement 2 fois par an. On ne peut pas être précis, juste et proche des personnes qui travaillent sur le projet en ne les voyant seulement 2 fois par an. J’ai besoin d’être présent, de discuter, de comprendre pourquoi ils aspirent à certaines choses. Mon métier est de les amener à être en mode « projet ». Je souhaite les guider dans la direction, définir des objectifs ensemble et se mettre en mouvement.

J’ai un principe de base, lorsque j’arrive dans une propriété je dois faire adhérer les équipes. Les gens doivent avoir envie d’aller dans ce sens. Je parle régulièrement de coaching. Je ne veux pas dire aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre. Je dis la vérité. Le cap doit être clair, il y a une notion de loyauté, fidélité mais la plus importante est la notion de plaisir.

Je travaille beaucoup en parlant, j’explique. Le choix est d’être le plus juste possible, la direction doit rentrer dans le projet établit dès le début. Mon métier n’est pas de prendre des décisions mais de donner les éléments pour qu’ils prennent eux-mêmes les décisions.

: Y a-t-il une région viticole à découvrir ? 

TD Je suis pour l’éclectisme. Je vais chercher, j’explore, je bois de tout et j’aime me mettre en danger. Le confort est la pire des emmerdes. Quand on est dans le confort c’est que l’on a loupé quelque chose.

Il ne faut pas oublier que, comme disait Socrate, « Je sais que je ne sais rien ». Le confort est là pour rassurer les gens, pas pour faire progresser.

 


Le futur 

 

Gerda : Vous êtes consultant depuis 2005 que sont les plus gros changements dans votre métier ?

TD : Premièrement, la montée en compétences des équipes dans les propriétés. Deuxièmement, l’existence d’une vision de plus en plus long terme ce qui va je pense avec le réchauffement climatique.

: Sur quels projets futurs travaillez-vous en ce moment (technique) ?

C’est un projet global et transversal dans beaucoup de propriétés, la notion de viticulture. Cela prend en compte plusieurs axes : les degrés d’alcool et le travail de l’identité du merlot dans les millésimes secs.

Je suis opposé aux nouveaux cépages à Bordeaux, c’est un non-sens. La viticulture va permettre de faire face aux changements climatiques, pas le changement des cépages.

C’est même une opportunité géniale car nous allons pouvoir travailler sur les sols et tester des nouvelles techniques. Aujourd’hui, on est nuls dans notre capacité à faire savoir ce que l’on fait car on n’a jamais aussi bien travaillé ! Bordeaux est le vignoble qui a le plus évolué sur les dernières années. Montrons juste aux gens ce que l’on fait et disons la vérité.

Pour moi, Bordeaux pourrait s’améliorer sur deux choses :

  • On ne sait pas comment parler du fait que Bordeaux a les meilleurs rapports qualités prix, 
  • On a laissé l’image se diffuser que Bordeaux est cher.

Notre problème est historique et culturel. Avant, il y avait une distance entre le consommateur et le producteur. Pendant une époque on ne racontait pas exactement ce que l’on faisait, on manquait de transparence. C’est aujourd’hui que Bordeaux le paie. Mais heureusement les nouvelles générations commencent à raconter et montrer la manière dont ils travaillent. C’est un message important !

La propriétaire d’un Château m’a dit récemment : « Jusqu’à preuve du contraire, être propriétaire n’est pas une compétence ! »

Heureusement, les propriétaires n’ont plus de problème à engager des gens qui sont compétents.

G : Comment les vignerons peuvent-ils se protéger contre le changement climatique ?

TD : Par la viticulture et la gestion du sol.

G : Quelles sont les cépages du futur ?

TD : C’est très simple : ce sont les cabernets sauvignon, franc et merlots…

G : Les Franc de pied – effet de mode ou réel intérêt ? 

TD : En riant : Ce sont les emmerdes de demain.

G : Que pensez-vous de la tendance/ l’avenir du vin en biodynamie ?

TD : Je n’aime pas les cases. Ce qui est important c’est d’observer, la notion de temps, la prophylaxie et la réduction des intrants. Il faut tout mettre en œuvre pour éviter les problèmes et ne pas attendre qu’ils arrivent. Cela n’a pas de sens de dire c’est mieux en biodynamie ou c’est mieux en bio. Quant à l’Agroforesterie, c’est nouveau.

Aujourd’hui, il y a une exploitation commerciale de toutes les démarches environnementales. Le faire est bien mais est ce que l’on a besoin d’en parler avec un mégaphone ? Je suis en attente de voir s’il y a des changements sur la vigne…

J’admets qu’il y a 20 ans c’était pire, c’était un désert dans toutes les vignes. La biodynamie et l’agroforesterie sont des pressions sociétales. Mais on risque aussi d’être dans l’excès dans l’autre sens, trop d’arbres, trop de tout. On n’a pas fait le bilan de ce qui a été changé, que l’on repart déjà dans un autre sens. Quand on fait une modification sur le vignoble il faut attendre minimum 5 ans pour voir le résultat et comment cela impacte la vigne…

 


Le vin

 

Gerda : Que pensez-vous de la notation des vins ?

TD : En riant : Joker .. ! Aujourd’hui, je pense que c’est nécessaire pour le consommateur. Le commentaire est aussi important mais il n’est pas pris en compte à sa juste valeur. Antonio Galloni, il y a quelques années, a envoyé ses commentaires en premier et a envoyé les notes quelques jours après ! C’était génial car le sens du vin est dans le vrai commentaire. C’est clairement quelque chose qui doit être remis au centre de tout.

Il faut véhiculer cela clairement car les dégustateurs défendent chacun une forme d’esthétique du vin. Ce millésime ne va pas être compris par tout le monde. Il y a une notion de culture. Chaque personne doit trouver le dégustateur qui se rapproche le plus de son goût et sa sensibilité. Il y en a trop mais c’est aussi un problème d’en avoir qu’un. La vitesse de l’information change. La notation est aussi un outil commercial. La partie distribution a un rôle à jouer pour expliquer le message.

G : Pourriez-vous me décrire un vin exceptionnel ?

TD : C’est un vin dont on se rappelle, qui nous a fait passer un bon moment avec des personnes exceptionnelles.

G : Concernant 2018, 2019, 2020, Que pensez-vous les 3 grands millésimes de Bordeaux ?

TD : Alors, 2019 est pour moi le plus beau millésime de la décennie 2010.

2018 me rappelle 2005. C’est un faux grand millésime, c’est « over-tout ». Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de grand vin, mais ces Châteaux sont resté dans la mesure.

2019 est plus équilibré, moins solaire.

2020 : j’ai du mal à me projeter pour le moment, on verra l’année prochaine. Je le préfère au 2018. Plus sexy que 2019 mais pas autant « too much » que 2018.

: Millésime mémorable à Bordeaux et pourquoi ?

TD : 2021. le retour au classique contemporain. Il y a ce côté impertinent. Il y a une notion d’insolence, sortir du cadre. Le vrai mot de 2021 : humilité. Cette notion de bataille, d’essayer, de s’en sortir.

Je voudrais ajouter quelque chose d’important : il n’y a pas d’idéal dans le vin.

Le Graal du vin est de deviner d’où il vient lors d’une dégustation à l’aveugle car il a une véritable identité.

J’aimerai que l’on explique le vin comme un chef explique son plat, la provenance des aliments (le terroir pour nous) et la philosophie du plat (notre idée du millésime). Ensuite on mange. Le chef ne communique pas sur comment il a cuit son plat. Pourquoi on devrait communiquer sur comment on fait notre vin ?


Site Internet & Instagram

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.