Inside La Place – L’Art de Cultiver l’Excellence dans un Monde en Mutation

Jérôme Poisson 

Régisseur Général

Château Giscours, Margaux

Caiarossa, Toscane

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Ingénieur agronome et œnologue, Jérôme Poisson possède une riche expérience dans le monde du vin avant de devenir régisseur général pour AJ Domaines, Château Giscours, et Caiarossa, IGT Toscane. Il débute comme stagiaire chez Baron Philippe de Rothschild. En 2006, il effectue les vendanges chez Saintsbury dans la Napa Valley. De retour en France, il réalise un stage chez Hennessy à Cognac, puis retourne à l’étranger pour travailler au Clos Apalta de la maison Marnier-Lapostolle. En 2013, c’est la Toscane qui l’appelle, et il devient assistant du directeur technique chez Frescobaldi à Montalcino, poste qu’il occupe jusqu’en 2016. Après une année de consulting, il rejoint la cave de Pfaffenheim en Alsace en 2018, où il peut partager ses riches expériences acquises à l’étranger. C’est finalement en janvier 2021 que Jérôme pose ses valises chez AJ Domaines (Albada-Jelgersma) : Château Giscours et Caiarossa.


Présentation 

Gerda : Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés, dans la pratique de votre métier ?

Jérôme Poisson : C’est certainement la diversité de mes tâches. J’ai la chance de travailler avec Alexander van Beek (Directeur Général d’AJ Domaines) sur divers aspects de Château Giscours et de Caiarossa. Bien que ma formation soit technique, mon poste de régisseur me permet de mobiliser toutes mes compétences : communication, marketing, agriculture, technique. Giscours est un domaine immense, non seulement par sa taille, mais aussi par sa diversité. Nous avons un grand parc, des zones sauvages, des vignobles et un pôle événementiel. L’une des difficultés de mes fonctions est de réussir à garder le focus, à prendre du recul tout en restant proche de chacun. C’est la partie la plus complexe, mais aussi la plus intéressante de mes responsabilités.

G : Il s’agit donc de créer une synergie entre les différentes activités au Château Giscours ?

JP : Toutes les actions doivent être alignées sur la même stratégie définie par Alexander. Il est essentiel que je sois proche de la technique, de nos élevages, de notre parc et de la forêt, tout en collaborant étroitement avec l’équipe marketing, communication et commercialisation. Mon objectif est de leur transmettre une vision claire, tout en mettant en valeur et en valorisant le travail réalisé à Giscours. Ce qui impressionne à Giscours, ce n’est pas seulement la technique appliquée dans les vignes et au chai, mais aussi la richesse d’un écosystème unique et les valeurs humaines mises en avant ici. Ce sont les mêmes valeurs qu’il faut promouvoir à Caiarossa également. Caiarossa est beaucoup plus petit (acheté par la famille Albada-Jelgersma en 2004, avec 70 hectares, dont 40 plantés). L’endroit est magnifique et très diversifié, avec une plus petite équipe, jeune et dynamique. Il est essentiel que cette équipe avance dans la même direction, en cohérence avec les valeurs d’AJ Domaines, et qu’il y ait des échanges enrichissants entre l’Italie et la France. Giscours peut s’intéresser à l’évolution des cépages bordelais dans un climat plus chaud, tandis que l’équipe de Caiarossa peut tirer parti du savoir-faire bordelais.

G : Vous avez travaillé dans beaucoup de régions viticoles différentes : Cognac, Chili, Italie, Napa Valley, Alsace. Qu’est-ce que cette carrière diversifiée vous apporte-t-elle ?

JP : Elle a développé ma curiosité. J’adore découvrir de nouvelles choses dans des domaines variés et apprendre de nouvelles langues. Il faut avoir l’envie d’aller vers les autres. Ce qui me motive aussi, c’est d’être en apprentissage constant. C’est très important, lorsqu’on arrive dans un nouvel environnement, de ne pas arriver avec des idées préconçues. Il faut être ouvert pour bien comprendre l’univers dans lequel on évolue. Durant toutes mes expériences, j’ai pu apporter ma contribution et ma capacité à avoir une vision d’ensemble. C’est un aspect qui m’intéresse beaucoup et qu’Alexander recherchait également : quelqu’un capable d’échanger avec des personnes très variées, d’être à l’aise avec nos partenaires de la Place de Bordeaux, des techniciens, des journalistes, et des visiteurs.

G : Vous avez donc un rôle vaste, mais quels sont les changements depuis votre arrivée en 2021 ?

JP : Giscours n’a pas attendu mon arrivée pour viser la qualité. Didier Forêt est un technicien moderne qui sait capter les idées actuelles pour faire progresser Giscours, un vaste domaine de 300 hectares, dont 160 en vignes. À mon arrivée, il s’agissait d’abord de comprendre tout ce qui avait été accompli, puis d’essayer d’aller plus loin, comme nous l’avons fait avec des conseillers extérieurs sur les couverts végétaux.

Depuis, nous avons enrichi notre communication avec davantage de connaissances techniques dans les échanges avec Alexander et Laure (Bastard, directrice commerciale) ainsi qu’Adeline (Warthmann) dans le marketing, en y intégrant toutes les valeurs d’AJ Domaines pour rendre notre discours plus clair et cohérent. Giscours est bien plus qu’une marque, et il est essentiel de mettre en valeur tout ce qu’elle représente. Lorsque je reçois les négociants, je leur fais visiter nos vignes, car il est important de ne pas rester enfermé dans la salle de dégustation. Il faut offrir une vision panoramique pour découvrir la forêt et tout l’écosystème sur place, une approche assez peu courante à Bordeaux. Quant à Caiarossa, Lorenzo (Pasquini, directeur d’exploitation d’Yquem) a déjà accompli un excellent travail, mais nous voulons aller encore plus loin dans la précision des vins, notamment avec l’arrivée de nos consultants Valérie Lavigne et Axel Marchal. Il est aussi nécessaire de réfléchir à la cohérence de l’encépagement (10 cépages). Avec Francisco Villa comme directeur technique sur place, nous disposons d’un référent quotidien. Il est essentiel de faire comprendre que Caiarossa est un vin exceptionnel. Alexander a toujours déployé beaucoup d’énergie pour promouvoir nos vins, et il excelle dans ce domaine. Laure Bastard est également active sur les marchés. Avec tout ce qu’il y a à dire sur Giscours et Caiarossa, une personne de plus pour transmettre le message est précieuse, car aujourd’hui, plus que jamais, il est crucial de rester proche de nos clients.


Culture de la Vigne 

G :  Dans quel état d’esprit abordez-vous les évolutions climatiques ?

JP : Ce qui se passe devient plus chaotique et extrême. Quand il fait sec, c’est très sec, et quand il pleut, il pleut beaucoup. Dans ce contexte, il faut chercher à être résilient, à pouvoir absorber les chocs et atténuer les excès du climat. C’est pour cela que nous avons décidé d’augmenter les couverts végétaux. Il est essentiel d’augmenter la capacité du sol à absorber l’eau. Les graves du Médoc sont magnifiques et produisent de grands vins, car elles drainent bien l’eau. Aujourd’hui, nous cherchons à trouver l’équilibre : qu’elles continuent à drainer tout en retenant l’eau au niveau des racines.

G : Oui, car nous aurons d’autres millésimes comme celui de 2022 à l’avenir.

JP : Exactement. Le climat océanique apportait autrefois un peu de pluie tout au long de l’année. Maintenant, nous pouvons avoir de fortes pluies au printemps, ce qui accentue la menace du mildiou, puis un été sec et chaud. Même sur nos terroirs, un printemps pluvieux ne fournit pas suffisamment de réserves pour toute l’année. Cette année encore, la pluie de début septembre était bienvenue ! Nous cherchons donc à avoir des sols qui retiennent mieux l’eau. Didier et son équipe ont fait beaucoup de travail dans ce sens. Nous avons recruté quelqu’un en recherche et développement, qui prend également en charge toute la partie RSE. L’objectif est de mieux connaître la capacité hydrique de nos plantes et d’être plus précis sur la récolte. Nous récoltons d’abord les jeunes vignes d’une parcelle, car ce sont elles qui souffrent le plus en été sec, lorsqu’elles sont à leur apogée en termes de fruit et de fraîcheur. C’est un travail de haute précision. Au niveau de la vinification, nous sommes plus minimalistes et donc moins interventionnistes qu’avant. Il faut laisser le raisin s’exprimer jusqu’à la bouteille, ce qui exige une grande précision dans le choix du moment de la récolte. Sur une grande superficie comme la nôtre, cela demande une organisation minutieuse. Nous avons de nombreuses réflexions en cours, et Bordeaux a beaucoup évolué ces dernières années. La région est bien plus verte qu’autrefois. Contrairement à l’image traditionnelle que certains ont parfois de nous, je pense que les Bordelais, loin d’être figés dans le passé, sont à la pointe au niveau mondial dans la viticulture.

G :  La problématique est-elle similaire à Caiarossa ?

JP : À Caiarossa, le phénomène est encore plus accentué. Les vagues de chaleur y sont plus intenses et les périodes de sécheresse peuvent durer encore plus longtemps. C’est intéressant, car cela pourrait nous donner un aperçu du futur à Bordeaux.

G : Même si le terroir de Caiarossa est au bord de la Méditerranée ?

JP : Nous avons la chance d’être en altitude. On sait que pour chaque 100 mètres d’altitude, la température baisse en moyenne de 1 °C. Il y a donc une différence de 3 à 4 °C de moins entre les vignobles situés près de la côte et ceux de Caiarossa, ce qui est considérable. En plus, nous bénéficions du vent marin. Ce que nous appliquons aujourd’hui à Bordeaux, nous le faisons depuis plus longtemps à Caiarossa. Nous avons commencé à réfléchir à la densité de plantation en vue de la réduire pour produire des raisins sans blocage. Ce sont des changements qui auront un impact à long terme. En France, les décrets d’appellation limitent les grands changements. À Caiarossa, nous avons plus de liberté sur les cépages et les modes de culture, étant donné que nous sommes en IGT Toscane.

G : Caiarossa est en agriculture biodynamique ; quel type d’agriculture appliquez-vous à Giscours ?

JP : Nous parlons davantage d’agriculture de conservation des sols ou d’agriculture régénérative. Giscours est également engagé dans des pratiques bio sans certification depuis des années et on réfléchit beaucoup à l’usage des produits phytosanitaires, principalement pour la santé de nos employés et de nos consommateurs. Aujourd’hui, nous envisageons notre écosystème dans son ensemble. C’est un aspect de la biodynamie que j’apprécie, ayant pratiqué cette méthode au Chili et en Italie dans les domaines de Frescobaldi. Certains aspects, comme la relation avec les astres, me dépassent parfois, mais l’observation attentive et la proximité avec le végétal sont très intéressantes. La biodynamie promeut une vision où le vignoble, les espaces sauvages, les animaux et les hommes forment un seul organisme vivant qui fonctionne en harmonie. C’est aussi l’esprit qui règne à Giscours. Nous ne sommes pas qu’un château entouré de quelques vignes, mais un milieu riche et complexe dans le bon sens du terme. Nos espaces sauvages et prairies couvrent environ 240 hectares, soit plus que nos vignobles. Toutes nos vignes, regroupées en un seul bloc, bordent la forêt. Environ vingt familles travaillent et vivent sur place, il y a donc une vraie synergie entre l’humain, l’environnement naturel et agricole. Nous sommes l’une des rares propriétés du Médoc à avoir des « prix-faiteurs » (ce sont des personnes responsables de leur propre parcelle). L’esprit vigneron est resté !

Depuis une dizaine d’années, nous avons réintroduit des animaux sur la propriété. Les animaux ont toujours fait partie de l’histoire de Giscours, sauf après-guerre, période durant laquelle l’agriculture s’est spécialisée. Par exemple, la race de bœufs Bordelaise était presque éteinte dans les années 80. Grâce à une association passionnée, nous l’avons réintroduite ici, à Giscours, il y a dix ans. La présence des animaux n’est pas artificielle, elle s’intègre aux bâtiments historiques (la ferme Suzanne). Nous avons aussi des brebis de race landaise et des porcs de race gasconne. Cela crée une relation harmonieuse : les brebis pâturent dans les vignes, les employés profitent des produits de l’élevage et du potager, et tout est utilisé pour la table de Giscours. La relation entre l’homme, les animaux et l’espace sauvage est forte en biodynamie, mais elle fait partie de l’histoire de Giscours depuis longtemps.

G : Depuis 2018, Thomas Duclos vous consulte à Giscours, et Axel Marchal et Valérie Lavigne depuis 2017 à Caiarossa. Qu’apportent ces trois consultants ?

JP : Ce qui est intéressant, c’est d’avoir un regard extérieur. Le consultant suit plusieurs clients, et son expérience ailleurs peut nous donner des idées. Il agit également comme un « sparring partner » avec qui nous pouvons échanger des idées et nous remettre en question.

  Château Giscours, Margaux                                                            Caiarossa, Toscane


Bordeaux Versus Toscany

G : Andrew Jefford, journaliste pour Decanter, se demande s’il y a des leçons à tirer pour Bordeaux de la libre pensée en Toscane. Qu’en pensez-vous ?

JP C’est vrai que la nomination IGT (Indicazione Geografica Tipica) offre beaucoup de liberté technique et stylistique. Cela a été le cas pour Ornellaia et Sassicaia, qui ont finalement contribué à créer l’appellation Bolgheri DOC (Denominazione di Origine Controllata). L’IGT renforce la prévalence de la marque par rapport à l’appellation. Pour ce qui est de Bordeaux, nous avons déjà des marques très fortes et nous avons trouvé un équilibre entre la marque et l’appellation. Je pense que le consommateur a déjà une idée précise du style d’un Margaux, Saint-Julien, Pauillac, Saint-Émilion ou Saint-Estèphe. Je ne pense pas que cela serait un avantage si nous venions à perdre cela. En revanche, il est vrai que l’appellation peut parfois être un carcan technique qui oblige à produire un vin de manière uniforme. Il y a déjà des remises en question des appellations, surtout dans le sud de la France, où l’on souffre beaucoup de la sécheresse. Là-bas, on réfléchit à l’irrigation, à la densité de plantation et à la manière de s’adapter au changement climatique.

G : Sommes-nous en France trop puristes en établissant des règles très strictes pour nos appellations ? Pour Andrew Jefford, Bordeaux fait face à des défis liés en partie à la nature monolithique de son offre. 

JP : Non, je ne pense pas. À Bordeaux, il n’y a pas un style unique. Nous avons la force de la marque et l’identité de chaque propriété. Il y a encore beaucoup de choses à faire à Bordeaux pour promouvoir nos vins. Souvent, ceux qui critiquent Bordeaux n’ont pas bu de Bordeaux depuis longtemps. Il est essentiel de remettre Bordeaux dans les verres, car nos vins ne se résument pas à du bois et des tannins ; il y a tellement plus que cela.

G : Comment capter les nouveaux consommateurs de Bordeaux ? La génération Z, qui n’a pas connu un monde sans Internet et qui fait du « zapping » même pour le vin ?

JP : Les jeunes sont attachés à leurs valeurs. On le constate avec la consommation de viande, qui est en baisse en raison de son impact négatif sur l’environnement et la santé. Il est important de mettre en avant que le vin véhicule de belles valeurs : le respect des lieux, des humains et de la nature. Il faut faire comprendre à cette génération que Bordeaux n’est ni impressionnant ni intimidant, et qu’il n’est pas poussiéreux ou strict. Au contraire, Bordeaux est résolument moderne, et Giscours en est un bel exemple.

G :  En quoi vos vins se distinguent-ils et sont-ils uniques ?

JP : Il n’y a pas longtemps, nous avons réalisé une grande dégustation verticale, et nous avons vraiment retrouvé le style de Giscours à chaque millésime. On y perçoit une signature, avec une finale dominée par les cabernets, qui sont uniques : salivants, réglissés et salins. Giscours est un mélange de puissance et d’élégance. Margaux, dans son ensemble, est connu pour sa finesse et son côté floral. Giscours possède tous les caractères de Margaux, mais avec plus de structure ; il offre un milieu de bouche généreux et une finale pleine de caractère. Il est essentiel de maîtriser la puissance à Giscours pour produire un vin qui soit agréable à déguster jeune, mais qui puisse aussi, grâce à sa structure, vieillir avec le temps. C’est la quadrature du cercle. Produire un vin surpuissant est facile, mais peu intéressant. Un vin très fin peut être très joli, mais cela ne correspond pas à l’esprit de Giscours. C’est un vin de gastronomie qui stimule l’appétit. C’est un grand vin de partage, qui mérite d’être apprécié. Giscours est encore une marque qui se boit, et c’est aussi sa force. Quant à Caiarossa, c’est avant tout un lieu exceptionnel, à la rencontre des collines toscanes et de la mer, plongé dans une nature préservée. Ce terroir se distingue par son altitude, sa ventilation, sa complexité, qui s’expriment dans chaque vin. Avec une bouteille de Caiarossa, on retrouve toute l’intensité de la Toscane, ses arômes méditerranéens, mais aussi une grande fraîcheur et une précision remarquable. C’est une rencontre fascinante entre ce terroir exceptionnel et l’art de l’assemblage bordelais, capable de révéler cette identité unique.


Vendanges 2024

G : Pourriez-vous me dire quelques mots sur les vendanges à Giscours de cette année ?

JP C’est un millésime marqué par le changement climatique. L’année a commencé avec des craintes liées aux gelées. À cause des hivers trop doux, les végétaux se réveillent trop tôt. Cela n’était pas un sujet auparavant, mais maintenant, nous avons cette crainte chaque année. Heureusement, nous n’avons pas été affectés en 2024. Le début de l’été, en juin et juillet, a été frais et humide, ce qui a retardé le développement des vignes. Ce millésime a demandé énormément de travail aux équipes techniques pour lutter contre la pression sanitaire. Les couverts végétaux ont joué un rôle crucial en nous permettant d’accéder aux vignes et en montrant leur importance. Nous avons réussi à obtenir plus de raisins que lors des dernières années, même si le rendement ne sera pas élevé. Tout le monde parle de la pluie, mais le mois d’août était sec et chaud. La véraison a été longue, mais elle s’est finalement bien déroulée, et les raisins ont pu atteindre leur maturité sans souffrir. La pluie début septembre a même été la bienvenue. Nous avons commencé les vendanges le 20 septembre. Elles devaient être très réactives car la météo était instable. Nous avons mobilisé 200 vendangeurs dans les vignes. Didier a accompli un travail de précision. Heureusement, les nuits étaient assez fraîches, ce qui a permis de préserver la santé des raisins. Nous le retrouverons dans le verre, car ces grands terroirs du Médoc se révèlent même dans des conditions difficiles. Les conditions variées d’un domaine à l’autre rendent difficile une évaluation homogène de 2024. Nous avons eu la chance de terminer les vendanges tard. Nous avons des raisins sans aucune note végétale et sans sensation de froid. En 2024, nous allons ressentir une sensation plus mûr au milieu de la bouche. Je pense que 2024 sera un joli millésime et unique ! Dans le chaos du changement climatique, la diversité émerge. C’est pourquoi Bordeaux a encore un long avenir devant elle.


Les Vins 

Giscours 2016

JP : 2016 est un très grand millésime pendant lequel la météo a été parfaite. Les vins étaient assez différents par rapport à 2015, qui est également un superbe millésime. 2016 était surtout plus fermé au début. Depuis un an, il s’ouvre de plus en plus. C’est un millésime très cabernet, avec 80 % de cabernet sauvignon. En général, dans les grands millésimes de Giscours, il y a toujours une grande proportion de cabernet. Dans l’encépagement, nous avons deux tiers de cabernet sauvignon planté. Dans l’assemblage, cela peut varier, mais c’est le cépage phare, car il est capable d’exprimer une forte personnalité. Nous avons la chance d’avoir des terroirs très différents, qui apportent beaucoup de complexité à l’assemblage et sont très complémentaires. Le merlot apporte une couche de moelleux et de densité.

G : Quand vous replantez, vous plantez davantage de cabernet sauvignon ?

JP Oui, nous plantons beaucoup de cabernet sauvignon. Nous avons travaillé sur une pépinière avec des sélections massales sur des vieilles vignes. Nous aurons bientôt notre propre matériel végétal pour planter.

Giscours 2021

G : J’aime beaucoup le nez de ce millésime, qui présente un très joli fruit croquant sans notes végétales.

JP : En bouche, c’est un vin très fin. Il n’a pas l’opulence d’un millésime chaud, mais il est raffiné et élégant, avec même un côté « British ».

G : Je me rappelle très bien de Giscours 1983, qui est un grand millésime de Giscours ayant vieilli remarquablement bien. Travaillez-vous aujourd’hui davantage sur la buvabilité dans sa jeunesse ?

JP : Oui, avec Thomas (Duclos), nous travaillons beaucoup sur ce point, car ce n’était pas son point fort dans sa jeunesse. Aujourd’hui, nous nous concentrons davantage sur des extractions douces en début de fermentation, en essayant de construire le vin sans rusticité. Cela s’inscrit dans le cadre de vendanges de plus en plus précises, pied par pied. Cela nous permet d’obtenir des raisins qui ont leur propre personnalité et qui sont toujours aboutis au niveau tannique, puis de les travailler pour mettre en valeur ces qualités dans le vin. Dans ce cas, le vin s’exprime mieux quand il est jeune, avec plus de brillance. C’est important, car le vin n’est pas seulement constitué de structure et de tannins, mais aussi de son expression dans sa jeunesse.

Caiarossa 2017

JP : C’est un millésime complexe, car il était chaud, mais surtout marqué par une grande sécheresse. C’est très intéressant, car on voit que, même dans ce type de millésime, Caiarossa garde un fruit et une fraîcheur, avec des tannins fins, ce qui n’est pas évident. On voit vraiment la qualité du terroir dans un millésime difficile. Ce vin a seulement 30 % de bois neuf, mais il possède beaucoup de caractère, comme le maquis méditerranéen.

G : Oui, exactement. Tu as parlé de la salinité de Giscours, mais ce vin l’a aussi, et même davantage, avec un goût de garrigue.

JP : Il est épicé, car le syrah et le cabernet franc se marient très bien ensemble.

Caiarossa 2021

JP En quatre années, il y a eu une évolution, les vignes ont pris de l’âge. L’âge moyen des vignes est maintenant d’environ 20 ans. Dans l’assemblage de 2021, il y a plus de syrah et moins de merlot. La moitié de l’assemblage est composée de cabernet franc et de syrah, et cela est en train de devenir l’assemblage type. Les deux se marient très bien, et nous avons planté davantage de syrah récemment. Le travail d’Axel et Valérie joue également un rôle important en ce qui concerne la finesse et l’élégance. 2021 est un millésime pas très chaud, mais assez sec. C’est principalement la sécheresse qui a été le facteur dominant durant ce millésime, ce qui le rend donc très différent par rapport à Bordeaux.

G : Il a beaucoup d’élégance.

JP : Oui, mais il est moins explosif. Il a moins de folie. Les tannins sont très fins et il présente une belle longueur.

G : Oui, mais il a un équilibre parfait et est plus longiligne dans sa structure, avec une finale impressionnante.

JP : Oui, et il va s’ouvrir davantage dans quelques années, mais au niveau tannique, on sent le travail effectué sur ce vin.

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE«  davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.