Inside La Place – Le Renouveau à Château de Sales

Vincent Montigaud Directeur Général et Marine Treppoz Présidente

 Château de Sales 

Pomerol


Gerda : Parlez-nous de vous…

Marine Treppoz : Je suis l’une des 14 cousines co-propriétaires du Château de Sales. Après des études à HEC et une maîtrise de mathématiques, j’ai travaillé chez Gaumont, puis dans un fonds de private equity avant de co-diriger un studio de jeux vidéo et enfin de créer mon entreprise de courtage en assurances pétrolières. En 2017 j’ai été nommée présidente du conseil d’administration par mes cousins et depuis je travaille en binôme avec Vincent pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés pour Château de Sales, sur la qualité des vins, l’image de la propriété et la gestion familiale de celle-ci.

Vincent Montigaud : Natif de Libourne, j’ai grandi dans le monde viticole grâce à des amis issus de familles de viticulteurs. Après des études d’ingénieur à l’Enita de Bordeaux, j’ai débuté ma carrière en tant que journaliste technique viticole pour le magazine Viti à Paris. En 1994, j’ai saisi l’opportunité de rejoindre la société Baron Philippe de Rothschild en tant que responsable de la communication auprès de Madame de Rothschild, bénéficiant de mon bagage technique et de mon expérience journalistique. Au bout de 7 ans, j’ai été chargé de superviser le Domaine Baronarques à Limoux. Pendant 16 ans, j’ai dirigé cette propriété de la famille Rothschild, axant mon travail sur la restructuration du vignoble et de l’outil de vinification, et sur la promotion des vins sur les marchés français et internationaux via la Place de Bordeaux. En 2017, les propriétaires du Château de Sales, représentés par la Présidente Marine Treppoz, recherchait un directeur général extérieur au cercle familial, et j’ai été recruté pour ce poste. Fort de mes 23 ans d’expérience chez Baron Philippe de Rothschild, je collabore désormais en tandem avec Marine.

Dôme du Château de Sales 


G :  Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés personnellement, dans la pratique de votre métier ?

VM : Je préfère parler des défis que nous rencontrons ici à la propriété, dont le premier est de donner un nouvel élan au Château de Sales : faire évoluer le vin, la distribution, et inciter davantage de journalistes à venir visiter la propriété et à déguster nos vins en accompagnant la famille dans ces démarches. Pour l’évolution du vin, nous avons mis en place des pratiques sur-mesure pour gagner en précision. D’abord au niveau viticole avec :

la taille qui n’est plus systématiquement en guyot simple, elle est adaptée à la vigueur et à la forme du pied de vigne et peut évoluer vers un guyot-double ou un guyot mixte, permettant ainsi une meilleure répartition de la charge. C’est un détail qui a son importance sur l’aération des grappes, la lutte contre les maladies et la maturité des raisins.

Nous avons apporté plus de soins à tous les travaux viticoles comme les attachages, les relevages, et les effeuillages dont le premier a été remplacé par un écharnage, c’est à dire l’enlèvement des entre-cœurs devant les grappes, une pratique plus qualitative. Nous nous adaptons au contexte de chaque année, de chaque parcelle, et de chaque pied pour effectuer nos interventions, comme par exemple pour les éventuels éclaircissages.

le changement des dates de récolte : lorsque je suis arrivé le 11 septembre 2017, c’était un baptême du feu car une partie du vignoble avait été gelé cette année-là, ce qui a entraîné un écart dans la maturité des raisins de première et de deuxième génération. Nous avons commencé les vendanges le 13 septembre, seulement deux jours après mon arrivée. Avec Marine et en accord avec le Conseil nous avons immédiatement décidé de vendanger les parcelles en fonction de leur maturité, abandonnant toute démarche systématique, en poussant la maturité des cabernets sauvignons

une alimentation adaptée à chaque parcelle : dès 2018, nous avons mis en place une analyse du sol, du sous-sol, des feuilles et des baies pour chaque parcelle, dans le but d’adapter la fertilisation à chaque parcelle. Tous les sols de la propriété ont toujours été travaillés sans désherbant chimique, mais nous pratiquons désormais aussi un enherbement, soit tous les rangs soit un rang sur deux pour certaines parcelles, ainsi que des couverts végétaux pour les autres parcelles, afin de favoriser la vie microbienne des sols et une meilleure alimentation de la vigne.

l’obtention de  la certification HVE  (Haute Valeur Environnementale) en 2020.

Puis au niveau de la vinification, différents changements ont été apportés dans le cuvier et dans les chais d’élevage avec par exemple :

l’ajout d’un érafloir plus précis et d’une table de tri manuelle.

l’utilisation d’un convoyeur à la sortie de la table de tri afin de remplir les cuves en utilisant la gravité, pour éviter la trituration des baies et réduire le risque de notes végétales.

le développement du parcellaire en ajoutant des cuves en inox plus petites.

l’augmentation du pourcentage de barriques neuves de 5 % à 15-20 % et la suppression des barriques de 3 vins dans l’élevage de Château de Sales afin de favoriser la précision et la complexité aromatique.

MT : Tous ces changements de pratiques tant viticoles que vinicoles visent à améliorer la qualité des vins. C’était un défi majeur, d’autant plus qu’il fallait accompagner une équipe en place depuis longtemps, dont certains membres travaillent au Château de Sales depuis plusieurs générations. Il a été nécessaire d’expliquer et de former les salariés pour faire adhérer toute l’équipe à ce nouveau projet. Les résultats obtenus en termes de qualité et de profil du vin, les notes et les commentaires très positifs de la presse et lors des dégustations avec nos partenaires négociants, sont une vraie reconnaissance du travail accompli. Nos équipes en sont légitimement fières.

VM : Quant aux défis personnels, le plus difficile a été de convaincre la presse des progrès réalisés. Auparavant, le Château de Sales n’était pas ou peu noté, beaucoup de journalistes ne connaissaient pas la propriété et ses vins. Le défi était de les motiver à venir sur place pour leur expliquer comment on travaille et déguster les vins avec eux. Nous y arrivons de plus en plus, et le nombre important de journalistes reçus pour goûter le millésime 2023 atteste de l’intérêt que suscite maintenant la propriété. Les notes obtenues sont en progression constante !

MT : Les journalistes qui découvrent la propriété sont souvent très surpris par la beauté des bâtiments inscrits au titre des monuments historiques depuis 1996, et par le parc de près de 42 hectares, avec une bambouseraie, des ruches et un gros réservoir de biodiversité. Une propriété unique à Pomerol. La préservation de cet écosystème malgré la pression foncière à Pomerol est aussi la marque d’une propriété familiale.


Vendange 2023

G :  Pourriez-vous me dire quelques mots sur le millésime 2023 ?

VM : 2023 est un très beau millésime qui a été compliqué à produire en raison d’une forte pression du mildiou. Mais grâce à notre terroir de graves et de sables permettant de rentrer rapidement dans les parcelles après une pluie, et au gros travail de l’équipe viticole, nous avons réussi à maîtriser cette maladie. Nous avons obtenu des raisins sains lors de la récolte. Bravo à l’équipe ! La floraison s’étant déroulé dans de bonnes conditions, nous avons procédé à des vendanges vertes sur quelques parcelles afin de réguler le volume de production. En 2023, nous avons pu allier qualité et quantité. Nous sommes très satisfaits de nos merlots avec un fruit éclatant. Ils représentent un pourcentage supérieur à 80% dans l’assemblage, ils apportent crémeux et rondeur.

Les cabernets francs étaient un peu plus délicats, mais ils participent à la complexité du vin avec une touche florale. Les cabernets sauvignons, bien adaptés à notre terroir, s’expriment bien et apportent structure et relief. Le millésime 2023 offre une belle expression aromatique avec du corps et un équilibre entre acidité et sucre, ainsi qu’une jolie fraîcheur qui prolonge le vin et lui donne une belle élégance.


La marque Château de Sales aujourd’hui et demain

Chartreuse du Château de Sale, construite en 1647, inscrite au titre des Monuments Historiques depuis 1996

G : Quel(s) positionnement(s) souhaitez-vous pour Château de Sales et quels sont les objectifs de la famille ?

MT : La 18e génération est déjà aux commandes à nos côtés. Ensemble nous souhaitons poursuivre le renouveau débuté en 2017 pour faire de Château de Sales une véritable référence au sein de l’appellation Pomerol, tant sur le plan qualitatif que sur celui de la gestion familiale. La famille, le respect de la terre et des hommes et femmes qui travaillent sur cette terre sont nos trois piliers. Notre objectif est de conserver la propriété dans la famille, ce qui devient de plus en plus rare dans le bordelais. Cette reconnaissance qualitative découle de notre passion pour le vin. Cela ne signifie pas pour autant que le prix de Château de Sales atteindra des niveaux exorbitants. Nous aspirons donc à maintenir la production d’un vin abordable, apprécié par les consommateurs et distribué par nos partenaires négociants. La reconnaissance passe par le prix, qui doit refléter l’évolution qualitative et les notes obtenues. Notre objectif était en 2017 d’atteindre un prix de sortie de 20 € à un horizon de 10 ans. La conjoncture récente n’a pas toujours facilité cette évolution des prix. Aujourd’hui, la qualité a progressé, les notes des journalistes aussi, le prix de sortie de Château de Sales doit suivre cette évolution.

G : Vous parlez beaucoup de l’importance des notes, que pensez-vous du système de la notation aujourd’hui ?

VM : Autrefois, les vins très boisés et bodybuildés étaient souvent appréciés par les journalistes. Il existait une incompatibilité entre le style de vin apprécié à l’époque et celui produit ici au Château de Sales. Cependant, depuis quelques années, il y a eu un changement de préférences chez les journalistes : ils recherchent des vins moins concentrés, privilégiant la finesse, l’élégance, des tanins soyeux et une moindre présence de bois. Entre cette évolution du goût et les progrès réalisés, Château de Sales est maintenant très apprécié par les dégustateurs !

MT : Nous constatons aujourd’hui un intérêt accru des journalistes pour Château de Sales par rapport à il y a 15 ans. Mais il est toujours nécessaire de les inviter ici à la propriété. Quand ils découvrent la propriété, ils sont émerveillés par ce qu’ils voient et ce qu’ils goûtent !

G :  En quoi vos vins se distinguent, et sont uniques ?

VM : Nous bénéficions ici d’un terroir de graves et de sables, avec peu d’argile et de calcaire, ce qui nous distingue du plateau de Pomerol. Depuis mon arrivée, avec la nouvelle génération familiale, notre objectif a été d’apporter à nos vins plus de précision aromatique, de densité, avec des tanins plus soyeux, plus veloutés. Certains millésimes du passé, tels que 2010, 2015 et 2016, se sont révélés excellents, mais dans les millésimes plus difficiles, les tanins étaient parfois plus rustiques.

MT : Notre objectif est de respecter notre terroir, notre identité. L’ajout de plus de volume en milieu de bouche ne peut se faire qu’en préservant la finesse et l’élégance caractéristiques du Château de Sales. Grâce à une augmentation du pourcentage de barriques neuves, passant de 5 % à 15-20 %, et au travail avec de nouveaux tonneliers, nous avons renforcé la complexité et le charme de nos vins. Et la présence du cabernet sauvignon dans nos assemblages donne une signature singulière à notre Pomerol.

G : En Europe particulièrement, le changement climatique est au cœur des discussions, comment ce changement affecte Château de Sales ?

VM : Le terroir ici est plutôt bien adapté au réchauffement climatique. Grâce aux nappes phréatiques qui se situent entre 2,50 et 3 mètres de profondeur dans la plupart des parcelles, et grâce aux vignes qui sont âgées avec un enracinement profond. Nos vignes souffrent peu de la sécheresse, y compris dans une année comme 2022. En complément, nous avons mis en place des couverts végétaux dans les parcelles pour protéger les sols durant l’été et pour favoriser la vie microbienne des sols. Ce sont surtout les périodes de gel au printemps qui nous préoccupent. Aussi, nous avons retardé nos dates de taille et d’attachage des lattes, et nous nous sommes équipés de tours ventigels pour lutter contre les températures négatives.


Le commerce

G : Quelles sont vos priorités en termes de développement commercial ? 

VM : Jusqu’en 2016, notre distribution était assurée par un nombre restreint de négociants, au total 6. Notre objectif est d’élargir notre réseau de distribution afin d’avoir une meilleure répartition de nos ventes dans le monde, tout en maintenant un nombre limité de négociants avec lesquels nous entretenons un véritable partenariat. Aujourd’hui, nous travaillons avec 15 négociants, dont Roland Coiffe & Associés, qui partagent nos valeurs.

MT : Grâce à cette nouvelle distribution du Château de Sales, nous rayonnons plus largement au niveau mondial. Notre force réside dans le fait que nous sommes la plus grande propriété de l’appellation, avec 47,6 hectares de vigne sur un total de 810 Ha que compte l’appellation Pomerol. Pour le négociant qui s’engage dans la distribution du Château de Sales, cela lui permet de disposer d’un certain volume de bouteilles, ce qui est un avantage pour la distribution. Nos deux premiers marchés sont la France et les États-Unis. Traditionnellement, le Château de Sales est également bien distribué en Belgique, et en Suisse. Notre objectif, en élargissant le réseau des négociants, est d’être davantage présents en Asie à moyen terme, bien que cela soit complexe actuellement, ainsi que d’accroître notre distribution en Europe avec une meilleure couverture géographique.

G : Vous avez parcouru le monde et ses vignobles au cours de votre carrière, Bordeaux a-t-il toujours beaucoup d’atouts ?

VM : Oui, certainement pour la qualité de ses vins malgré le Bordeaux Bashing et l’écart de prix très important entre les Petits Bordeaux, sans parler de l’aspect qualitatif, et les Grands Bordeaux. Mais en rouge en particulier il y a beaucoup de grands terroirs et en termes d’équilibre, d’élégance, de finesse et de régularité de production de grands vins, Bordeaux reste une région privilégiée avec beaucoup d’atouts.

MT : Il y a une perception de vins de Bordeaux chers chez le consommateur parce que certains châteaux ont augmenté leurs prix de façon trop importantes. Ils se sont coupés de certains consommateurs et ces derniers ont cherché des bons vins ailleurs. Ce n’est pas le cas pour Château de Sales. Nous sommes ici dans une appellation plutôt chère mais très porteuse grâce à des très grands noms mais nous voulons rester un Pomerol abordable. Nous ne voulons pas nous couper de nos consommateurs ni en France ni à l’étranger en pratiquant des prix délirants. Un vin installé sur une carte de restaurant peut vite perdre sa place et la reconquête est dure !

Château de Sales est une propriété familiale, notre vision n’est pas opportuniste, nous sommes sur un temps long. De plus, notre développement oenotouristique est très important, 4000 visiteurs sont reçus avec plaisir par an. Le fait que Château de Sales soit une propriété familiale est un élément important pour les visiteurs particuliers, comme pour les distributeurs et les journalistes.

G : Quels supports d’aide à la vente sont à disposition des distributeurs pour promouvoir vos vins ?

VM : Nous essayons d’accompagner sur le terrain les négociants et leurs clients pour promouvoir Château de Sales et faire connaître le nouvel élan mise en place depuis 2017. Tout cela fait partie du partenariat. Nous sommes très ouverts et nous aimons proposer des expériences immersives, les équipes commerciales de nos négociants et des distributeurs sont les bienvenues ici à la propriété.

G : A quels millésimes le marché devrait s’intéresser ? Et pourquoi ?

VM : Le beau millésime 2019 a été mis en marché en primeur dans une période compliquée à cause du Covid. Nous avons eu de très belles notes en livrable pour ce millésime, 96/100 par Decanter par exemple, ce qui a donné un vrai élan à la distribution de ce millésime. Je pense que le marché doit continuer à s’intéresser au 2019, car il se déguste très bien et il a le pouvoir de séduire des consommateurs du monde entier.

G :  Vendez-vous toujours principalement en Primeurs ?

VM :  Oui, nous vendons entre 80 et 90 % de la production en primeurs. Nous avons un petit stock de livrable pour répondre aux demandes des négociants. Nous avons toujours un peu de 2019 et de 2020 à proposer. D’un côté c’est une faiblesse d’avoir peu de stock, il n’y a pas longtemps, j’avais une demande pour du 2015 et j’ai été obligé de répondre négativement comme pour tous les millésimes jusqu’au 2016. Pour ces millésimes, il nous reste seulement quelques bouteilles proposées en dégustation pour les journalistes, afin de montrer l’évolution et le potentiel de garde de nos vins. Depuis 2017, il y a peu de stock que ce soit à la propriété ou sur la Place. C’est sain et c’est un point positif dans le contexte actuel qui est plutôt compliqué.


La bouteille de cœur de Marine & Vincent

G :  Si vous aviez une seule bouteille de cœur ? 

MT : Dans les millésimes anciens, j’aime beaucoup le 2005. C’est l’année de naissance d’une de mes nièces, et il représente très bien le terroir du Château de Sales et les grands vins que nous pouvons produire sur ce terroir. Il est ouvert, très expressif, avec une belle qualité des tanins, une fraîcheur, une finesse et une capacité de vieillissement remarquable.
En ce qui concerne les millésimes récents, on observe une progression régulière avec des influences de style propres à chaque année.

VM : En effet, depuis 2017, nous franchissons chaque année un nouveau palier qualitatif. Dans le millésime 2019, nous voyons ce que nous souhaitons réaliser en termes de qualité des tanins.
Le 2020 présente un caractère charnu en milieu de bouche, cette densité que nous souhaitons avoir chaque année. Le 2021 est un millésime avec une belle complexité, toute en élégance : il montre que même dans un millésime soi-disant plus compliqué nous gardons le cap. Le 2022 est un superbe millésime. Avec le millésime 2023, nous combinons fruit éclatant, densité en milieu de bouche, tanins soyeux, équilibre et élégance. Dans ce millésime 2023, le cabernet sauvignon prend toute sa place en apportant énergie et relief ! Pas facile de choisir une seule bouteille …

 

 

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.