Inside La Place – Millésime 2023 : Quand Bordeaux Réinvente ses Classiques

Millésime 2023 : Quand Bordeaux Réinvente ses Classiques

Gerda :  La semaine des dégustations des Primeurs 2023 s’est terminée la semaine dernière. Une semaine intense et importante pour La Place pendant laquelle plus de 5000 professionnels du vin, de 70 nationalités différentes ont découvert le nouveau millésime. Des rapports détaillés sur 2023 et les notes de quelques critiques des vins sont déjà publiés. Avant de laisser la parole aux experts, nous commencerons par une synthèse du millésime 2023 par l’équipe de RCA. Puis, les réponses de quatre consultants de renom, Axel Marchal, Eric Boissenot, Thomas Duclos et Hubert de Boüard, à mes questions pour résumer ce nouveau millésime. Tout le monde est dans les starting-blocks depuis lundi 29 avril pour un départ dans un contexte macro-économique et géopolitique compliqué. Néanmoins : restons optimistes car il n’y a pas de futur dans le pessimisme !


 

La soirée d’inauguration du Château Cantenac Brown a été un véritable spectacle d’élégance et de raffinement. Ce nouveau bâtiment est véritablement remarquable, marquant une rupture dans les choix techniques grâce à un exploit architectural écoresponsable. En effet, Cantenac Brown relève le défi du zéro carbone en se passant entièrement de ciment, privilégiant exclusivement des matériaux biosourcés provenant de moins de 100 km Notamment, avec la création d’un chai en pisé, une technique de construction ancestrale utilisant la terre crue.

La fête du Bontemps marque la fin de la semaine des primeurs par un somptueux dîner où châteaux, négociants, courtiers se retrouvent avec leurs clients et partenaires. Lancée en 2023, cette célébration est désormais considérée comme un rendez-vous incontournable.


Synthèse du millésime 2023 par l’équipe de Roland Coiffe Associés

Le millésime 2023 de Bordeaux, marqué par un retour à des conditions climatiques plus traditionnelles et une gestion méticuleuse des vignobles, promet une excellente qualité, avec des ajustements de prix potentiels en réponse aux pressions économiques mondiales, le rendant particulièrement attractif pour les acheteurs. Petit tour d’horizon de ce millésime : 

  1. Climatologie du Millésime
  2. Récolte et Vendanges
  3. Dégustation des Vins en Primeurs
  4. Contexte Économique Général
  5. Les prix

La climatologie du millésime

Après la chaleur extrême et la sécheresse de

2022, 2023 marque un retour à un climat plus typique pour Bordeaux avec des températures chaudes et des précipitations moyennes, favorisant une qualité de récolte supérieure.

La vigilance accrue contre les maladies comme le mildiou a été essentielle, nécessitant une attention méticuleuse tout au long de la saison pour maintenir la santé des vignes.

Récolte et Vendanges

Rouges : Les vendanges des rouges ont eu lieu assez tôt et se sont étalées sur une longue période avec un rendement supérieur aux moyennes et une belle qualité de jus, aidé par une gestion des vignobles de plus en plus professionnelle.

Blancs secs : Les blancs secs ont bénéficié de la fraîcheur nocturne, préservant leur acidité et fraîcheur aromatique.

Liquoreux : Conditions favorables à la botrytisation, avec des vins riches et complexes résultant d’une alternance de périodes humides et sèches.

Dégustation des Vins en Primeurs

En général les vins montrent une belle structure tannique, une intensité aromatique marquée avec un bon potentiel de vieillissement.

Rouge Rive Gauche : Les vins sont élégants, avec des tannins bien structurés, des vins précis, avant des alcools moyens (13-13,5%) et de la fraicheur.

Rouge Rive Droite : À Pomerol et Saint-Emilion, les vins expriment une richesse de fruit appréciable, avec une concentration notable.

Blancs Secs : Les vins sont vifs et expressifs, avec une acidité rafraîchissante, grand millésime de blanc sec.

Sauternes : Exceptionnelle richesse aromatique, grande complexité et une longueur en bouche impressionnante.

Le contexte économique

Globalement, le marché du vin affronte des pressions économiques, influençant les stratégies des propriétés.

États-Unis : Le marché américain reste robuste, bien que prudent en raison des stocks et de l’année électorale.

Europe : Stabilité avec une demande réduite, la prudence des opérateurs étant prédominante.

Asie : Confrontée à une baisse de demande en raison de la crise immobilière en Chine, de taux de change défavorables et de l’accumulation de stocks ces dernières années

Les prix

Pour le millésime 2023 de Bordeaux, les prix sont susceptibles d’être ajustés à la baisse malgré la belle qualité des vins, en réponse aux pressions économiques mondiales et à la prudence des marchés clés. Des grands châteaux annoncent déjà des réductions, indiquant une tendance vers des prix plus accessibles pour stimuler la demande. Cette stratégie pourrait rendre le millésime 2023 particulièrement attractif pour les acheteurs.


Interview de Gerda

L’œil des experts 2023 : l’ultime reflet des différents terroirs

 

 Quatre personnalités nous éclairent sur leur vision du millésime :

Hubert de Boüard, Directeur HdB Consulting et Œno-lab, Co-propriétaire d’Angélus

Thomas Duclos, Consultant Œnologue

Axel Marchal, Professeur à l’Université de Bordeaux et Consultant en Œnologie

Eric Boissenot, Consultant Œnologue

Gerda : Quel était le plus gros défi pour les vignerons en 2023 ?

Hubert de Boüard : Parvenir à maturité avec des raisins parfaitement sains.

Thomas Duclos : Garder son sang-froid et ne pas surréagir face au mildiou a été crucial. Il était important de ne pas compenser le anque de chaleur de début août en procédant à une effeuillaison excessive ou en faisant tomber trop de raisins. La clé résidait dans la patience, car les vendanges ont été longues afin que tous les raisins puissent mûrir…Pour résumer, il aura fallu de la patience, de l’analyse et de la clairvoyance.

Axel Marchal : C’était l’adaptation parce que les conditions étaient très changeantes et tout au long du cycle il y a eu un certain nombre de conditions climatiques difficiles. Il a fallu s’adapter. Malgré tout, le plus gros défi était le mildiou qui, une fois encore, en raison de l’humidité du printemps et du début de l’été pendant des périodes parfois chaudes, a proliféré et a menacé le vignoble.

Eric Boissenot : C’était la lutte contre les maladies cryptogamiques, la pression a été très forte comme en 2016 ou en 2018.

Gerda : Pourriez-vous nous dire quelques mots sur les rendements 2023 ?

Hubert de Boüard :  Les rendements sont bons, tout d’abord grâce à des années de respect de nos sols et de leur vie microbienne mais aussi grâce à une prophylaxie constante qui nous a permis de ne pas être impactés par les maladies. Le rendement de Château Angélus est d’environ 40 hl/ha cette année.

Thomas Duclos : C’est très aléatoire à cause des variations de pluviométrie … qui ont entrainé des grossissements de baies très variable. Le sujet des rendements est toujours d’actualité, mais il est pour moi bien moins important qu’il y a 15 ou 20 ans. De plus grâce au réchauffement climatique la maturation des raisins est plus facile à obtenir.

Axel Marchal : Le rendement illustre le caractère très variable du millésime. Dans certains cas, les rendements sont très faibles, souvent dans des propriétés où le merlot est largement dominant. Parfois, les rendements se situent entre 20 et 25 hl/ha. À l’inverse, certaines propriétés peu affectées par le mildiou peuvent atteindre des rendements plus que satisfaisants, de l’ordre de 50 hl/ha. Toutes les propriétés n’ont pas été touchées par le mildiou. Le potentiel de récolte a été élevé cette année, car les conditions de l’initiation florale en 2022 ont été très bonnes, et celles de 2023 sont également très favorables. Tout cela a contribué à un beau potentiel en raison du nombre de baies par grappe et de la taille des baies, qui ont été favorisées par un climat légèrement pluvieux au moment de la nouaison, c’est-à-dire lors de la formation de la baie du raisin.

Eric Boissenot : Le nombre d’inflorescences a été élevé et la floraison s’est très bien déroulée, sans coulure, sauf en cas d’accidents de mildiou sur certaines parcelles, souvent de merlot (plus sensible). Les rendements en 2023 sont généralement plus élevés que ceux des cinq dernières années.

Gerda : Pourriez-vous nous décrire le style des millésimes 2023 ?

Hubert de Boüard : 2023 est un millésime plein d’arômes floraux très subtils, comme la violette et la giroflée, mais exprime également des fruits noirs tels que la cerise et la mûre sauvage. C’est un vin sérieux, juteux, doté de jolis tanins arrondis et d’une belle acidité, qui apporte un côté salin et tendu à la dégustation.

Thomas Duclos : C’est impossible, il y a tellement de variations dans ce millésime…On peut résumer en disant que 2023 fait partie de ces millésimes que seul Bordeaux peut produire, avec des vins parmi les meilleurs, caractérisés par une grande justesse.

Axel Marchal : C’est un millésime varié offrant des vins différents. Dans l’ensemble, ce sont des vins avec un niveau d’alcool moins important que celui des derniers grands millésimes de Bordeaux. Cela est particulièrement vrai pour les cabernets. Malgré cela, on observe un niveau d’acidité assez présent, ce qui apporte une fraîcheur aux vins qui ont également des structures tanniques bien marquées. Les vins sont équilibrés, frais et assez classiques dans leurs formes, moins exubérants que ceux de 2022 que j’apprécie beaucoup pour son caractère hors norme. C’est un très grand millésime mais avec un caractère un peu opulent.

Je pense que 2023 se situe davantage dans la norme, mais une norme élevée ! Ce sont des vins très bordelais, plaisants et aimables. Parfois, les vins manquent un peu de concentration et de densité pour rivaliser avec les plus grands millésimes. Ils seront à la fois prêts à boire rapidement mais aussi de très bons vins de garde.

Eric Boissenot : Ce sont des vins avec du corps avec des tanins riches et souples à la fois mûrs et frais, avec une belle acidité moins solaire que le millésime 2022 et affichent un degré d’alcool moins élevé. Ils se rapprochent du style de 2019 mais sont plus droits. Ils présentent également des touches rappelant le millésime 2020 dans leur tenue.

 

Gerda  : En tant que technicien, estimez-vous qu’une réévaluation des prix soit indispensable pour sauver la campagne Primeurs 2023 ?

Hubert de Boüard : Je crois qu’il faut surtout connaitre son marché et ses consommateurs et les respecter encore et toujours. Ainsi, chacun comprendra ce message.

Thomas Duclos : En tant que technicien, j’ai un avis que je garde pour moi, comme tout le monde devrait le faire lorsqu’il ne s’agit pas de son domaine d’expertise.

Axel Marchal : Pendant la pandémie, le philosophe français Étienne Klein a remis au goût du jour le terme « ultracrépidarianisme », qui désigne l’art de parler de ce que l’on ne connaît pas. Bien que mon champ de compétence n’est pas sur le commerce du vin, pour autant, le sentiment que j’ai, qui n’est pas d’un spécialiste, c’est qu’une baisse du prix est nécessaire et inévitable. Je parle ici des Crus Classés et je parle des vins pour lesquels les prix de vente sont nettement au-dessus des prix de revient. Il y a un certain nombre de vins à Bordeaux pour lesquels les prix de vente sont en dessous du niveau des prix de revient. Ce n’est pas une solution pour ces vins que les prix baissent parce-que les propriétés n’ont tout simplement pas les moyens.

Eric Boissenot : Oui, cela reste vrai même si le niveau qualitatif des vins est très élevé.

Gerda :  Si vous deviez décrire 2023 avec un mot ou une phrase courte, que choisiriez-vous ?

Hubert de Boüard Un moment délicieux et rafraichissant, sans doute le plus ‘Bordeaux’ de tous les Bordeaux!

Thomas Duclos : L’ambition a payé !

Axel Marchal : Un millésime diversifié, pour différentes raisons : il y a une hétérogénéité au niveau des rendements et des qualités, et une caractéristique très marquée distingue ce millésime. L’impact des terroirs est clairement perceptible. Les merlots cultivés sur calcaire n’ont pas du tout les mêmes saveurs que ceux sur graves, qui diffèrent eux-mêmes grandement de ceux sur sable ou argile. C’est un millésime qui reflète avec beaucoup de justesse les spécificités des terroirs.

Eric Boissenot : un millésime affable et gourmand comme un ami dont on apprécie toujours la présence. On peut compter sur lui.


L’équipe Roland Coiffe & Associés vous souhaite une très belle campagne Primeurs