Inside La Place – « Ne pas avoir peur de proposer des millésimes hors normes »

Brad Dixon

Chef Sommelier du Steakhouse Bern’s, Floride


Arnaud de Laforcade (Directeur Financier et Commercial Château Cheval Blanc) m’a raconté qu’il avait un jour reçu l’équipe du Bern’s Steakhouse à Cheval Blanc. Ils lui ont présenté leur carte des vins, un ouvrage remarquable d’environ 200 pages. Il est donc temps pour moi de poser quelques questions au sommelier en chef de Bern’s, Brad Dixon. Pour en savoir plus sur lui et sur ce remarquable steakhouse, réputé pour offrir l’une des plus vastes sélections de vins des États-Unis. Brad Dixon a rejoint l’équipe de Bern’s en 2003 en tant que sommelier. En collaboration avec trois autres sommeliers, il gère une incroyable collection de vins comptant 6 500 sélections différentes et plus de 700 000 bouteilles en stock.

 

G: Comment s’est développée votre passion pour le vin ?

BD : Dans ma jeunesse, j’ai toujours travaillé dans des restaurants et des bars. A vingt ans, j’ai même travaillé pour deux Français, l’un de Paris et l’autre de Toulouse. J’ai travaillé pour eux pendant 7 années au cours desquelles nous avons ouvert 4 restaurants en Floride. Nous n’avions pas le budget pour avoir une importante cave avec des crus classés, mais j’ai beaucoup appris sur les vins français grâce à eux. Nous nous sommes surtout concentrés sur les vins du Rhône, les vins du Midi et de Provence. De temps en temps, nous achetions un peu de Bordeaux et de Bourgogne. C’est ainsi qu’est née ma passion pour le vin.

G :Quels sont les aspects les plus gratifiants et les plus exigeants de votre travail quotidien ?

BD : Lorsque les gens viennent dans notre restaurant, ils ont des attentes très élevées, et si nous pouvons dépasser ces attentes, ce que nous avons la chance de faire grâce à notre carte des vins uniques, c’est incroyablement gratifiant. Lorsqu’ils repartent en disant : « Nous savions que ce serait bon, mais pas à ce point », c’est le sentiment le plus gratifiant qui soit. En outre, le fait de pouvoir partager de merveilleux vins de Bordeaux plus âgés que nos hôtes, est vraiment spécial. Ce sont des expériences comme celles-ci qui expliquent pourquoi je suis sommelier depuis plus de 20 ans. Pour ce qui est de l’aspect le plus exigeant, il s’agit des longues heures de travail que nous devons effectuer. Cependant, les récompenses de notre travail en valent la peine.

G : Comment restez-vous en forme ?

BD : Selon mon médecin, je devrais manger un peu plus sainement et faire plus d’exercice, mais j’essaie de bien me reposer. Cependant, avec mon travail exigeant qui consiste à travailler six longues journées, cela peut s’avérer difficile.


Relations avec les domaines viticoles

G : Quels sont les facteurs les plus importants pour vous lors de la sélection des vins pour votre carte des vins ?

BD : Chez Bern’s, nous avons la chance d’avoir un budget qui nous permet d’acheter les meilleurs vins du monde. Notre force est certainement la France, même après toutes ces années (Bern’s a été créé en 1956). Les vins californiens gagnent également en popularité, en particulier les grands cabernets de cette région et les bordeaux, qui sont nos meilleures ventes.

G : Comment interagissez-vous avec les viticulteurs pour sélectionner les vins qui figureront sur votre carte ?

BD : Il existe de nombreuses façons d’entretenir cette relation. Nous essayons de voyager autant que possible, à l’instar de notre propriétaire David Laxer. En Floride, en raison de la réglementation de l’État, nous sommes tenus d’acheter les vins auprès des distributeurs de l’État avec lesquels nous avons noué des relations étroites. Lorsque des importateurs ou des viticulteurs viennent nous voir, nous essayons de prendre autant de rendez-vous que possible. Nous avons la chance d’être une destination très connue, et nous recevons plus de demandes que nous ne pouvons en satisfaire en une semaine. Hier soir, un vigneron de Bourgogne a dîné avec un producteur de l’Oregon. J’essaie de venir à Bordeaux une fois par an. Si je ne peux pas venir en été, j’essaie au moins de participer à la dégustation organisée par les Unions des Grands Crus aux États-Unis, soit à Miami, soit à New York. Il est essentiel de goûter le nouveau millésime et j’apprécie beaucoup ce concept. Il y a toujours un vigneron ou un directeur avec qui on peut discuter des vins.


Exigence des clients 

G : Quelles sont les attentes les plus courantes de vos clients envers les vins et votre expertise en tant que sommelier ?

BD : Les clients s’attendent généralement à découvrir des vins qu’ils ne trouvent pas ailleurs. C’est plus facile pour ceux qui découvrent le vin. Vous pouvez les surprendre avec un vin plus ancien ou un vin d’un millésime plus mûr. Mais nous nous adressons aussi à de nombreux collectionneurs. Lorsqu’ils consultent notre liste, ils peuvent mentionner: « Oh, j’ai une caisse de tous les premiers crus de 1982 dans ma cave. Cela ne m’intéresse pas, je veux autre chose. » C’est à ce moment-là que je dois redoubler d’efforts pour trouver un millésime plus ancien qu’ils n’ont jamais eu. Ce qui est intéressant, c’est que notre liste comprend des millésimes dans lesquels nos fondateurs n’ont pas eu peur d’investir, même lorsque d’autres les considéraient comme nuls ou de qualité moyenne. Nous possédons de grands formats de Montrose 1992, un millésime connu pour sa forte acidité. Des millésimes comme 1952 ou 1957 sont également intéressants pour moi, car ils développent de beaux arômes de canneberges séchées, les tanins s’étant adoucis avec le temps. Tous ces millésimes étaient au départ dominés par une forte acidité et des tannins, mais certains d’entre eux sont aujourd’hui magnifiques. Nous avons la chance de pouvoir proposer ces vins, car nous avons commencé à collectionner des Bordeaux de provenance irréprochable en 1960. Nos 700 000 bouteilles sont stockées dans un entrepôt à température contrôlée de 12°C. Il est vraiment étonnant que notre fondateur Bern Laxer, qui est décédé il y a 20 ans, ait eu la clairvoyance de commencer cette collection.

 


Vins de Bordeaux 

G : Quelle est votre opinion sur les vins de Bordeaux ?

BD : Nous avons une expression aux États-Unis qui dit « c’est mon pain et mon beurre » (mon gagne-pain). Je vends plus de Bordeaux que d’autres vins. Lorsque les gens visitent notre restaurant, ils disent souvent : « Je bois habituellement du Cabernet de Californie, mais lorsque je viens au Bern’s Steakhouse, je dois boire français ; c’est la bonne chose à faire ici ». C’est une bonne chose dans un sens, mais c’est également délicat pour un sommelier. Lorsqu’ils mentionnent qu’ils boivent principalement du cabernet californien, cela implique que je dois leur proposer un millésime très chaud, comme 2003, que j’aime beaucoup personnellement. Je ne peux pas leur vendre un Bordeaux 1993, qui sera trop éloigné de leurs habitudes, manquera de fruits et aura trop de tannins. Mais par exemple,  pourquoi ne pas leur proposer un 1996 ou un 1999 ? Ces deux millésimes ont encore du fruit. Bordeaux est un endroit formidable pour moi et même si je ne goûte pas beaucoup de très jeunes Bordeaux, j’ai le sentiment que l’on peut boire des Bordeaux un peu plus jeunes. Cela est dû en partie aux changements viticoles, mais les changements climatiques jouent certainement un rôle. Il y a aujourd’hui des millésimes qui sont plus accessibles à un âge plus jeune.

G : Quelles stratégies utilisez-vous pour mettre en valeur les vins de Bordeaux moins connus ou sous-estimés ?

BD : J’ai une équipe de trois autres sommeliers et je leur dis souvent : « Il faut connaître les millésimes. » Nous essayons les vins chaque fois que c’est possible, car des vins comme Aiguilhe 2017 ou Trois Croix 2016, qui figurent sur notre liste, ne peuvent pas être simplement mis en valeur dans des livres. Ils doivent être portés à l’attention des convives par le sommelier, et c’est le travail du sommelier.


Tendances

G : Y a-t-il des tendances actuelles aux États-Unis et, si oui, quelles sont les plus populaires en ce moment ?

BD : Chez Bern’s, je suis parfois dans une bulle, car les gens viennent chez nous pour des vins anciens et exceptionnels. Mais, oui, je vois une tendance qui se manifeste également dans notre restaurant. Les consommateurs recherchent des vins plus acides, qui sont perçus comme plus faciles à boire, qu’il s’agisse de Bordeaux, de Bourgogne ou de producteurs californiens. On observe une évolution vers des vins mieux équilibrés, qui ne sont pas trop mûrs ou trop gros. Autrefois, la demande pour ces vins était plus forte. Cette nouvelle tendance est certainement bonne pour Bordeaux.

G : Que pensez-vous des notes ? Robert Parker est un grand fan de votre restaurant.

BD : Son influence est indéniable et il a fait du bon travail, mais pour nos jeunes clients dans la trentaine et la quarantaine, Jeb Dunnick est maintenant la référence. Autrefois, les clients venaient avec de longs dossiers imprimés contenant les notes de Robert Parker. C’est quelque chose que nous ne voyons plus, à cause d’Internet mais aussi parce qu’il y a moins de journalistes qui connaissent l’importance de Robert Parker.

G : Comment restez-vous informé des tendances en constante évolution de l’industrie du vin, et comment cela influence-t-il vos choix de vin ?

BD : Je suis encore de la vieille école, je lis Decanter et Wine Spectator parce que beaucoup de mes clients se réfèrent à ce magazine. De plus, je m’entretiens fréquemment avec des professionnels du vin, ce qui m’aide à me tenir au courant des dernières évolutions et tendances.


Conseils aux futurs sommeliers

G : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes professionnels qui, comme vous, aspirent à devenir des sommeliers de haut niveau ?

BD : Les études sont primordiales, mais je crois aussi que beaucoup de sommeliers oublient le plus important, à savoir offrir une expérience agréable. Il est essentiel de mettre les gens à l’aise ; un client ne doit pas se sentir intimidé lorsqu’un sommelier se présente à sa table. Une carte des vins chez Bern’s, en particulier, peut être décourageante pour les personnes qui n’y connaissent rien, mais elle ne doit pas les stresser. Un très bon sommelier sait reconnaître la nervosité d’un client. Lorsqu’on s’approche d’une table, on peut rapidement discerner si les clients sont des collectionneurs avertis, avec lesquels on peut engager une discussion sérieuse, ou s’ils ont besoin d’une approche plus douce, pour qu’ils se sentent à l’aise lorsqu’ils posent des questions au sommelier.

On nous fait parfois remarquer que les vins de Bordeaux sont devenus trop chers, mais nous avons la chance d’en acheter suffisamment pour obtenir les meilleurs prix du marché, ce que nous reflétons sur notre carte des vins. Toutefois, ce problème n’est pas propre au Bordelais, les vins d’exception ont connu des augmentations de prix dans tous les domaines. Prenons par exemple les prix des Cabernets Californiens. Les gens sont conscients de ces tendances.


Les Vins 

G : Quelle est la meilleure façon de déguster ?

BD : Même après toutes ces années, j’apprécie beaucoup les dégustations à table, surtout lorsque l’on sort quelque chose de très rare. Je ne donne pas mon avis sur le vin. Je peux suggérer : « Je goûte un peu de tabac, c’est fumé, c’est du cèdre, donnez-lui plus de temps pour obtenir plus de fruit ». Je préfère ne pas être seul au bureau avec un verre de vin, j’aime en discuter avec d’autres. C’est un produit merveilleux à partager.

G : Quel est votre cépage préféré ?

BD : J’ai la chance d’avoir goûté, au cours de toutes ces années, des bourgognes et des bordeaux extraordinaires. Récemment, j’ai ouvert un double magnum de Château Latour 1947, et il a répondu à mes attentes les plus élevées. Cependant, lorsque vous rencontrez un vin qui dépasse vos attentes, comme le Chasse Spleen 1964 que j’ai ouvert récemment, c’est encore plus merveilleux. Je n’arrivais pas à croire à quel point c’était un grand vin. 1964 est un millésime délicat. Si les vendanges ont été faites à temps, les vins sont très bons. Certains ne l’ont pas fait. Chasse Spleen s’est surpassé, mieux que je ne le pensais. J’ai en tête quelques grands millésimes de Chasse Spleen comme le 1959 et le 1961 et il y a quelques grands 1964, comme Latour mais avec ce Chasse Spleen 1964, j’étais particulièrement heureux.

 

 

G : Quel est le meilleur accord culinaire avec un vin de Bordeaux ?

BD : Je dirais plutôt les steaks, en riant, mais aussi l’agneau cuit longuement,  avec un Bordeaux, c’est souvent extraordinaire. Je suis un peu classique mais les accords classiques sont éternels.

 

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.