Inside La Place – L’identité de Bordeaux 

Romain Iltis

Directeur des vins du groupe Lalique

Meilleur Sommelier de France 2012

Meilleur Ouvrier de France Sommelier 2015


 

Romain Iltis a débuté sa carrière au lycée Joseph Storck à Guebwiller, puis a réalisé sa mention sommellerie au lycée A. Dumas à Illkirch-Graffenstaden. Après un beau parcours derrière les fourneaux chez Alain Ducasse, il a rendu les ustensiles de cuisine pour devenir Chef Sommelier à Verte Vallée à Munster. En 2012, il a rejoint le chef étoilé Jean-Georges Klein, au restaurant l’Arnsbourg. Il a obtenu cette même année le titre de meilleur sommelier de France.

Aujourd’hui, Romain Iltis occupe le poste directeur des vins au sein du groupe Lalique. Ce groupe compte 4 restaurants gastronomiques : La Villa René Lalique et le Château Hochberg à Wingen-sur-Moder, Lalique-Château Lafaurie Peyraguey et le restaurant The Glenturret Lalique à Crieff en Ecosse. Le propriétaire du Groupe Lalique, Sylvio Denz, possède également plusieurs Domaines à Bordeaux dont Château Peby Faugères (Grand Cru Classé de Saint Emilion), Château Faugères (Grand Cru Classé de Saint Emilion), Château Rocheyron (Saint Emilion Grand Cru), Cap de Faugères (Côtes de Castillon), and Château Lafaurie Peyraguey (1er Grand Cru Classé Sauternes).

Gerda : Pouvez-vous nous partager l’origine de votre passion pour le vin ?

Romain Iltis : J’ai été éduqué aux bonnes choses par mon père qui était MOF (Meilleur Ouvrier de France) boulanger. Cependant, c’est avec le vin que ma fascination a vraiment pris son essor. L’histoire du vin et les hommes qui le produisent m’ont profondément captivé. Les multiples facettes et les innombrables possibilités qu’offre ce magnifique produit, ainsi que le message qu’il véhicule, exercent sur moi une véritable fascination. Le vin incarne l’essence du partage par excellence. D’un autre côté, peu de produits sont aussi propices à susciter une curiosité aussi infinie. Explorer les diverses appellations, rester à l’affût des nouveautés et comprendre comment les changements climatiques influent sur les caractéristiques des vins sont des aspects tout aussi inépuisables que fascinants.

G : Quels sont les aspects les plus gratifiants et les plus exigeants de votre travail au quotidien ? 

Romain IltisLe plus gratifiant, c’est de pouvoir susciter une émotion chez un client. Lorsque nous sélectionnons la bouteille parfaite ensemble et que je vois cette étincelle d’émotion naître dans ses yeux, c’est une connexion réussie. C’est ce que je recherche, car l’émotion crée des souvenirs durables. Cette philosophie guide également nos restaurants, où l’objectif est d’offrir à nos clients des moments de bonheur inoubliables. C’est incroyablement gratifiant.

Quant aux aspects les plus exigeants, ils résident probablement dans la nécessité de rester constamment à l’affût des tendances et des nouveaux vignerons. Ensuite, il y a l’exigence de l’excellence, qui est une évidence dans notre métier. Oui, notre domaine est exigeant, mais la passion doit toujours prédominer.

G : Quels sont les facteurs les plus importants pour vous lors de la sélection des vins pour votre carte des vins ?

Romain Iltis : Pour moi, l’élément le plus crucial est que le vin reflète son terroir. Je recherche la façon dont un terroir s’exprime le plus authentiquement à travers le cépage utilisé et le savoir-faire du vigneron. Ma démarche n’est pas de constituer une vaste carte des vins pour rivaliser avec la plus grande cave de France. Chaque vin que je choisis est un individu unique, avec sa propre personnalité, ses caractéristiques distinctes et ses nuances propres à chaque millésime. En particulier, les grands terroirs dévoilent une personnalité constante d’année en année. Ces vins, dotés d’une identité distinctive, offrent une complexité exceptionnelle. C’est dans ces situations que le choix des millésimes devient un jeu fascinant, permettant à ces vins d’exprimer pleinement leur personnalité unique.

G : Comment interagissez-vous avec les domaines viticoles pour sélectionner les vins à inclure dans votre carte ?

Romain Iltis : Les domaines viticoles sont avant tout des partenaires avec lesquels nous entretenons une collaboration étroite. Nous sommes fiers d’intégrer leurs vins dans notre sélection, tout comme ils sont fiers de figurer sur notre carte des vins. Au fil des années, j’ai cherché à établir un climat de confiance durable. Cette confiance mutuelle favorise un échange ouvert avec les vignerons, nous permettant de partager nos opinions en toute honnêteté, sans jamais adopter une posture de donneur de leçons, mais toujours avec bienveillance. Cette approche encourage également les vignerons à solliciter notre avis, créant ainsi un dialogue constructif.

G : Quelles sont les attentes les plus courantes que vos clients ont envers les vins et votre expertise en tant que sommelier ?

Romain Iltis : En général, les clients arrivent souvent avec des attentes préconçues en matière d’accords mets/vins. Mon rôle consiste parfois à les sensibiliser à de nouvelles perspectives, à les encourager à sortir des sentiers battus, tout en veillant à ce qu’ils se sentent en confiance dans leurs choix.

Beaucoup de clients considèrent le fait de venir au restaurant comme une opportunité de découvrir quelque chose de différent de ce qu’ils ont déjà dans leur cave. C’est à nous, les sommeliers, d’ouvrir de nouvelles portes. Nous pouvons proposer des vins de vignobles voisins de ceux qu’ils apprécient déjà, voire suggérer des vins du Nouveau Monde pour élargir leurs horizons.


Bordeaux & vous

 

Gerda : Quel est votre opinion sur les vins de Bordeaux ?

Romain IltisLes vins de Bordeaux incarnent le prestige viticole emblématique de la France. Ils sont le résultat d’un vignoble qui a su résister à l’épreuve du temps, conservant une identité robuste et un potentiel de garde remarquable, grâce à des assemblages prestigieux. À un certain moment de leur histoire, peut-être pour s’adapter à un palais international, ces vins ont perdu en partie certaines de leurs caractéristiques distinctives. Cependant, aujourd’hui, nous assistons à un retour aux sources : les identités propres aux différentes appellations sont bien plus marquées qu’il y a quelques années. Bordeaux regagne de l’intérêt car on redécouvre des identités fortes, que ce soit au niveau des appellations ou des châteaux.

G : Comment choisissez-vous les vins de Bordeaux pour votre carte et comment les présentez-vous à vos clients ?

Romain Iltis : Nous avons la chance de disposer d’une collection prestigieuse de vins de Bordeaux provenant de grands Châteaux. Mon objectif est de continuer à enrichir cette collection tout en recherchant également des vignerons moins connus mais méritant toute notre attention. Ces vignerons apportent souvent une vision différente, une identité unique, et une ambition qualitative très marquée, ce qui les rend dignes d’intérêt malgré leur moindre renommée. Lors de la présentation à nos clients, nous mettons en avant non seulement les vins des grands Châteaux mais aussi ces découvertes plus modestes, soulignant l’authenticité et la qualité exceptionnelle de chacune de ces bouteilles.

G : Quelles stratégies employez-vous pour mettre en valeur les vins moins connus ou sous-estimés ?

Romain IltisSouvent, ce sont les vins de Bordeaux qui offrent un rapport qualité-prix intéressant, ce qui les rend plus accessibles à la proposition, à condition que le client soit ouvert à cette suggestion. Il est vrai que, dans son classicisme, Bordeaux a parfois perdu la capacité à surprendre. C’est à nous, les sommeliers, de montrer aux gens que Bordeaux peut réserver de belles surprises en offrant d’excellents rapports qualité-prix dans la région bordelaise. Toutefois, il revient aussi à Bordeaux de faire savoir cela.

G : Que devrions-nous faire à Bordeaux pour avoir une meilleure représentation sur votre liste de vins ? 

Romain Iltis : Bordeaux a longtemps été associé à l’image des Grands Châteaux qui, aujourd’hui, ne sont plus accessibles pour un grand nombre de consommateurs. Je pense que Bordeaux doit retrouver, ce qu’il avait réussi à faire à un moment donné avec les seconds vins : offrir une accessibilité qui suscite l’intérêt pour des vins de qualité à des tarifs plus abordables, incitant ainsi à explorer les Grands Vins. Nous avons perdu cela car les seconds vins des Grands Châteaux ont été fortement valorisés ces derniers temps. Les seconds vins ont perdu la notion accessibilité et en parallèle les petits vignerons à Bordeaux sont laissés de côté. Cette séparation entre les Grands Châteaux et les Petits Domaines a été préjudiciable à ces derniers qui en souffrent aujourd’hui.


Les tendances

 

G : Remarquez-vous des tendances actuelles dans le monde du vin ? Si oui, quelles sont les tendances les plus en vogue en ce moment ?

Romain Iltis : Clairement les gens cherchent la finesse, la puissance n’est plus tellement à la mode. On observe également une tendance dans les choix culinaires, avec un intérêt croissant pour la gastronomie axée sur les blancs et moins de rouges. Il y a beaucoup de poissons sur des cartes des restaurants. Il est devenu très compliqué de proposer des vins moelleux. Il y a un travail à faire pour ces vins et cela ne concerne pas seulement les Sauternes.

En plus en France à cause des restrictions légales et par la baisse du pouvoir d’achat il y a un ralentissement de consommation des vins. C’est pourquoi nous proposons de plus en plus des vins au verre, parfois même pour des tables de 6 à 8 personnes.

G : Comment restez-vous à jour avec les tendances changeantes de l’industrie vinicole et comment cela influence-t-il vos choix de vins ?

Romain Iltis : Je ne suis pas très actif sur les réseaux sociaux. C’est un métier à part et je n’ai pas le temps de le faire. De temps en temps, je participe à des formations lors de salons ou d’autres événements viticoles pour rester informé des dernières tendances.

En outre, je favorise les échanges et discussions avec mes équipes. Lorsqu’elles déjeunent ou dînent dans d’autres établissements pendant leurs jours de repos, elles observent également les tendances du marché. Ces retours d’expérience sont précieux et contribuent à enrichir notre perspective pour prendre des décisions éclairées lors du choix des vins pour notre carte.

G : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes professionnels qui aspirent à devenir des sommeliers de haut niveau comme vous ?

Romain Iltis : Je conseille d’être curieux, et surtout, il faut goûter, goûter, et encore goûter. Il est essentiel de donner les moyens à ses ambitions, que ce soit en rencontrant des professionnels du secteur ou en recherchant la formation adaptée, même si cela peut être complexe étant donné l’abondance d’offres.

La curiosité est primordiale. Elle doit vous pousser à déguster lors des salons ou chez les vignerons. C’est là que l’on apprend et comprend le mieux les subtilités du vin, et où l’on retient le plus d’informations précieuses.

G : Comment restez-vous en forme ?

Romain Iltis : J’ai le besoin de temps à autre de me reconnecter avec la nature. Cela m’aide beaucoup. Prendre du temps pour me rendre en montagne ou dans la forêt est essentiel. Dans la nature je me déconnecte en présence de mon chien. Cela me permet de maintenir ce lien avec ce que la nature nous offre à travers le vin.

G : Quel est la meilleure façon de déguster ?

Romain Iltis : Tout d’abord, il est essentiel d’utiliser des verres adaptés. Ensuite, il faut accorder au vin le temps de s’exprimer. Déguster un vin, c’est apprécier le résultat du travail d’au moins trois années d’un vigneron. Il est important de le faire avec respect, en prenant le temps de comprendre chaque aspect du vin. Il est crucial de ne pas se précipiter lors de la dégustation.

G : Quel est votre cépage fétiche ?

Romain Iltis : Si je dis autre chose que le riesling, personne ne me croirait. C’est le cépage qui parvient à prospérer sur tous types de sol. Il réussit le mieux à exprimer toutes les nuances de types de sol sur lesquels il est planté, sans nécessiter l’utilisation du bois et qui vieillit admirablement bien. C’est un des rares cépages au monde qui fait de très grands blancs secs et de très grands liquoreux.

Gerda : Nos grands sémillons à Bordeaux peuvent produire aussi des blancs secs et des liquoreux de grande garde !

Romain Iltis : Je suis entièrement d’accord avec vous. Cependant, je me demande pourquoi tous les grands conseillers œnologues veulent planter du sauvignon partout à Bordeaux ? Certes le sauvignon apporte de la tension, mais le sémillon est le cépage de l’avenir.

G : Quel est votre vin fétiche ?

Romain Iltis : C’est une question compliquée. J’ai envie de dire que c’est le prochain vin qui me donnera les larmes aux yeux. Une fois qu’on a vécu cette émotion, on la recherche à chaque fois.

G : Quel est, selon vous, le meilleur accord mets/vin de Bordeaux ?

Romain Iltis : Au restaurant Lalique au Château Lafaurie Peyraguey, nous avons savouré un tartare de bœuf de Bazas avec un œuf coulant au centre et une mousse de parmesan, le tout accompagné d’un Lafaurie Peyraguey 1997. C’était une expérience magnifique. Ce moment nous a permis de découvrir le potentiel incroyable des vins moelleux. Cela nous a inspiré à explorer les accords salés avec les vins de Sauternes.  Il est regrettable qu’ils soient trop souvent associés aux desserts !

Nous sommes conscients que la période est compliquée pour Bordeaux mais ce vignoble possède tous les atouts pour se remettre en avant de la scène.

 

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.