Inside La Place – Regards Croisés par Gerda Partie 2 ~ Château Pichon Comtesse de Lalande avec Nicolas Glumineau & Bernard Burtschy

🎧Nous vous offrons la version audio de l’Inside🎧

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Bernard Burtschy

Journaliste du Vin

Président Association de la Presse du Vin

Spécialiste Data Mining


Gerda : Pourriez-vous parler de vous en quelques mots ?

Bernard Burtschy : J’ai deux carrières. L’une dans le vin, où j’évolue depuis presque 40 ans. J’ai rejoint la Revue des Vins de France en 1993 et j’ai aussi une carrière universitaire : j’ai enseigné l’intelligence artificielle et le data mining, ce qui n’a rien à voir avec le vin. C’est d’ailleurs grâce à cette seconde carrière que j’ai rencontré Michel Bettane, un grand dégustateur, et c’est lui qui m’a fait entrer dans le monde du vin.

G : Quelle est votre impression générale du Château Pichon Comtesse de Lalande ?

BB : Pichon Comtesse de Lalande est un château que je suis de près depuis longtemps. Je connaissais très bien l’ancienne propriétaire, Madame de Lencquesaing, qui, au-delà de produire un vin incontournable, assurait une véritable représentation de la propriété à travers le monde.

Je pense qu’il faut toujours replacer un vin dans son époque. Au début de ma carrière, j’achetais des vins comme ceux de 1992, 1993 ou 1994, qui n’étaient pas chers du tout. C’était un peu comme acheter aujourd’hui un vin en bouteille plastique. J’ai ainsi acquis des Gruaud Larose, des Brane-Cantenac et bien sûr Pichon Comtesse. Je me suis formé sur ces vins issus de petits millésimes, à une période où Bordeaux traversait une grande crise. Ils étaient très accessibles. Avec du recul, on dirait qu’ils manquaient de matière, mais chaque vin a quelque chose à raconter. Tout est une question de contexte et de manière de déguster. Ces vins ont forgé mon goût.

G : Mais si vous deviez décrire Pichon Comtesse en quelques phrases ?

BB : Pichon Comtesse de Lalande porte en lui une certaine dualité. C’est un pauillac, mais il se distingue de l’image classique de l’appellation, souvent associée à des vins puissants, tanniques, parfois austères. Au contraire, il enrobe cette force d’une douceur presque insoupçonnée. Autrefois, il contenait une proportion importante de merlot et affichait des rendements relativement élevés, comme il était d’usage à l’époque. D’où l’importance de toujours replacer un vin dans son contexte. Pichon Comtesse conjuguait ainsi profondeur et accessibilité immédiate. Pour un palais encore néophyte comme le mien à l’époque, il fut une révélation. Très tôt, il a captivé mon intérêt, et les millésimes 1982, 1985 et 1989 restent parmi mes premières grandes émotions. J’avais le privilège de venir au château, accueilli par Madame de Lencquesaing, mais j’ai aussi dégusté ces vins à maintes reprises ailleurs. Toujours, ils m’ont semblé merveilleux.

G : Trouvez-vous qu’il existe un style Pichon Comtesse ?

BB : Oui, d’autant plus lorsqu’on le compare à Pichon Baron, son voisin immédiat. Pichon Baron incarne un pauillac austère, droit, strict, du moins avant qu’AXA ne devienne propriétaire. Pichon Comtesse, lui, grâce à sa proportion importante de merlot, a toujours été plus accessible. Ce qui m’a toujours fasciné, c’est cette dualité entre une apparente souplesse et une vraie densité en profondeur. Cet équilibre existe toujours, même si aujourd’hui, on cherche à produire des vins encore plus ambitieux. Cette identité est une force de Pichon Comtesse, peu répandue dans le Médoc. Il y a toujours eu cette suavité apportée par le merlot. Certains diront que c’est une solution de facilité, peut-être. Mais c’était sacrément bien fait ! Il y a toujours eu une équipe technique remarquable derrière. À côté, Latour est beaucoup plus strict. Avec Pichon Comtesse, on peut apporter une bouteille chez des amis, et tout le monde le trouvera merveilleux.

G : Nicolas nous a parlé de l’agriculture biologique et de la biodynamie. Pensez-vous que ce type de viticulture influence-t-il le style du vin ?

BB : Je connais particulièrement bien ces pratiques, car avec ma femme, nous avions un vignoble certifié en bio et en biodynamie, sous les labels Demeter et Biodyvin. Aujourd’hui, je pense qu’il n’y a pas d’autre voie. Il vaut parfois mieux passer directement à la biodynamie sans étape intermédiaire en bio. En biodynamie, certaines tisanes permettent de limiter le recours au cuivre, ce qui fait que son problème devient secondaire. Pour moi, la vraie biodynamie, c’est ce que pratiquait mon grand-père : il s’agissait avant tout d’anticiper. Avec une parfaite anticipation, le problème ne se pose plus. Aujourd’hui, nous avons en plus l’avantage d’une météo de très grande précision. Dès qu’un certain seuil de précipitations est atteint, on sait qu’il faut traiter, et on sait précisément quand la pluie arrivera. Évidemment, certaines années sont très pluvieuses, et quoi qu’il arrive, on n’a pas le choix… mais c’est aussi vrai en viticulture conventionnelle.

Concernant Pichon Comtesse de Lalande, je trouve que depuis sa conversion en bio, le vin a gagné en diversité et en profondeur. C’est vrai pour tous les vins, mais cela ne suffit pas. L’une de mes grandes déceptions en dégustant des vins certifiés Demeter, dont un sur deux n’a aucun intérêt. Ce n’est pas parce qu’on pratique l’agriculture bio ou biodynamique que cela garantit un vin bien fait. Néanmoins, je pense que dans dix ans, tout le monde sera en bio ou en biodynamie. Nous n’aurons plus le choix.

G : Nous avons commencé la dégustation avec Réserve de Comtesse 2022. Qu’en pensez-vous ?

BB : Il est formidable. Il est même supérieur au Grand Vin d’il y a dix ans. Il a à la fois ce velouté et cette profondeur qui caractérisent Pichon Comtesse. Aujourd’hui, on retrouve ces qualités dans le second vin, mais avec une ampleur et une longueur inédites. Pour moi, c’est l’un des plus grands seconds vins de Bordeaux.

G : Oui, je suis tout à fait d’accord avec vous. C’est un grand vin, avec en plus l’avantage d’être délicieux dès sa jeunesse. Le vin suivant était Pichon Comtesse 2020, un très grand millésime à Bordeaux, le dernier de la trilogie 2018-2019-2020. Qu’en pensez-vous ?

BB : C’est un vin en constante évolution, depuis la dégustation en primeur jusqu’à aujourd’hui en bouteille. Il a toujours été formidable, mais en ce moment, il traverse une phase de fermeture.

G : Oui, j’ai aussi écrit qu’il ne s’exprime pas encore complètement.

BB : Il suit une évolution tout à fait classique, et je pense qu’il restera fermé encore quatre ou cinq ans. Fondamentalement, je place le millésime 2022 au-dessus du 2020. Le 2022 possède à la fois plus de profondeur et un velouté supplémentaire. C’est un millésime qui a tout. Néanmoins, le 2020 reste une très grande bouteille. Même s’il traverse actuellement une phase de fermeture, il demeure relativement accessible même s’il est redevenu plus typiquement pauillac. 

G : Mais cette tendance de Pichon Comtesse à devenir plus pauillac n’a-t-elle pas réellement commencé avec l’augmentation significative du pourcentage de cabernet sauvignon, à quelques exceptions près, comme Nicolas l’a mentionné ?

BB : Oui, ce vin est taillé pour une très grande carrière et s’inscrit pleinement dans le classicisme bordelais. Mais si on veut le déguster aujourd’hui, il faut absolument le passer en carafe pour retrouver l’ouverture qu’il avait encore il y a six mois. Il a une densité exceptionnelle, mais il lui faudra un peu de temps pour s’affiner. Chaque millésime a son style, comme Pichon Comtesse 2016, qui se distingue par une fraîcheur plus marquée.

G : Le 2016 est l’un des plus grands millésimes jamais réalisés à Bordeaux. J’ai écrit à propos de ce magnifique Pichon Comtesse 2016 qu’il offre un équilibre parfait, avec une élégance exceptionnellement structurée et une finale impressionnante. C’est un grand Pichon Comtesse, porté par une noble droiture.

BB : Oui, ce millésime a tout. Pour moi, il a le style du 2020, mais avec une pointe de fraîcheur en plus. Quand un pauillac possède cette touche de fraîcheur et qu’elle n’évoque pas la verdeur, ce qui est le cas ici, cela le rend encore plus grand. C’est un vin formidable, promis à la gloire. Il y aura des amateurs qui préféreront le 2020, qui est fondamentalement plus velouté.

G : Le 2020, plus velouté ?

BB : Oui, même s’il se referme actuellement. Le 2016 sera toujours plus frais, donc plus Pauillac. Pichon Comtesse a toujours oscillé entre deux identités : suis-je un pauillac ou suis-je un Pichon Comtesse ? Pendant longtemps, il a choisi son camp, comme en 2000, 2001 ou 1985, où il affichait ce côté très charmeur du merlot, tout en conservant une certaine droiture en arrière-plan. Aujourd’hui, cette droiture prend le dessus. Intrinsèquement, la force du médoc et de pauillac réside dans le cabernet sauvignon. Là où l’on cultive du cabernet sauvignon, comme dans la Napa Valley, il y atteint son plus haut niveau, mais c’est à Pauillac qu’il est le plus grand. C’est pour moi incontestable.

G : Faut-il toujours conserver une petite part de merlot dans l’assemblage, à la fois en raison du terroir, comme l’a expliqué Nicolas, mais aussi pour arrondir le cabernet sauvignon ?

BB : Oui, il y a des parties argileuses même à Pauillac. Par exemple, Pibran, qui possède 50 % de cabernet sauvignon et 50 % de merlot, car son sol contient une grande proportion des argiles. Mais Pichon Lalande est un grand pauillac, situé sur des graves. C’est sur ce terroir qu’il atteint son raffinement et son élégance. C’est la fameuse quatrième terrasse, que l’on retrouve aussi à Latour et à Montrose, qui donne des vins à la fois denses et raffinés. Ce sont les vignes plantées sur cette terrasse qui produisent les vins les plus élégants.

G : Nicolas a également mentionné qu’il a fortement réduit la proportion de petit verdot.

BB : Oui, ce cépage a longtemps été une marque de fabrique de Pichon Lalande. Il y avait d’ailleurs de magnifiques petits verdots plantés dans les années 1930. Évidemment, ces parcelles ont vieilli et ont été arrachées. Il y a des millésimes où l’on sent bien l’influence du petit verdot, comme en 2001, où il représentait 14 % de l’assemblage. Mais à long terme, on sait que le petit verdot n’a pas la classe du cabernet sauvignon. Pendant les 10 à 15 premières années, il apporte de la couleur, des tannins et de la diversité, mais sur le terroir de Pichon Lalande, lorsque l’on a de grands cabernets sauvignons, il n’y a pas mieux. Il n’est plus nécessaire de renforcer le vin aujourd’hui.

G : C’est certainement aussi lié au changement climatique, qui favorise le cabernet sauvignon.

BB : Oui, et aussi le petit verdot s’essouffle après 15 à 20 ans d’âge.

G : Le dernier millésime que nous avons dégusté était le Pichon Lalande 2010.

BB : Le 2010 est un grand millésime, en parallèle avec le 2009, qui est plus accessible et souvent supérieur sur la rive droite, à mon avis. Le 2010 a traversé une phase un peu ingrate, mais il en sort et commence à très bien se déguster. À l’époque, il avait une masse tannique importante, que l’on retrouve encore aujourd’hui, même pour Pichon Comtesse. Les tannins sont imposants, mais plus du tout agressifs. À l’époque de Parker – et nous étions alors en plein dedans, certains viticulteurs faisaient des vins très extraits et très boisés. Pichon Comtesse n’est jamais tombé dans cet excès, et c’est pour cela que ce vin est magnifique.

G : Oui, et ce n’a jamais été dans l’ADN de Pichon Comtesse de produire des vins trop extraits.

BB : Exactement, et avec une proportion importante de merlot, on n’aura jamais la même masse tannique qu’avec le cabernet sauvignon. Le 2010 commence, pour moi, à atteindre son apogée. C’est un vin plus complet que le 2009. Le choix entre ces deux millésimes dépend du cru : il faut en discuter vin par vin.

G : Déjà pour le 2010 ?

BB : Oui, petit à petit, il est en train de franchir une nouvelle étape, et on voit désormais clairement dans quelle direction il évolue. Et je suis certain qu’il restera à son apogée très longtemps.

Gerda BEZIADE a une incroyable passion pour le vin, et possède une parfaite connaissance de Bordeaux acquise au sein de prestigieux négoces depuis 25 ans. Gerda rejoint Roland Coiffe & Associés afin de vous apporter avec « Inside La PLACE » davantage d’informations sur les propriétés que nous commercialisons.